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rope, et au premier rang la France et l’Angleterre, font relever par les officiers les plus instruits de leurs flottes non-seulement leurs propres côtes, mais les parages lointains vers lesquels notre pavillon est conduit par les relations politiques ou commerciales. La sécurité de la navigation et la vie de milliers de marins, qui reposent sur la parfaite exactitude des relevés hydrographiques, ont été dans tous les temps un puissant véhicule pour cette partie de la science ; mais c’est surtout de nos jours que le perfectionnement des tables, des instruments et des méthodes, a donné aux relevés hydrographiques une rigueur inconnue jusque-là, ce qui a conduit à vérifier ou à refaire toutes les cartes antérieures. Quant à l’exécution et à la gravure, ce n’est que justice de reconnaître que les cartes françaises ont une très-grande supériorité sur toutes les autres, et, en particulier, sur les cartes anglaises.


VIII

La géodésie et l’hydrographie sont les deux bases scientifiques de la géographie positive ; c’est par elles que nous avons aujourd’hui ce que n’eurent pas les anciens, la connaissance et le figuré rigoureusement exacts des pourtours et de l’intérieur des continents. Mais les produits immédiats de ces deux sciences — les grandes cartes topographiques et les cartes marines — ne sont pas à l’usage de la foule ; pour les populariser et les approprier aux convenances diverses du commerce et de l’industrie, de l’économie politique, des hautes études et de l’enseignement, il faut les réduire en cartes usuelles, les figurer sur les globes, les condenser en atlas. De là toute une nouvelle classe d’œuvres géographiques non moins importante que la première par la diversité et l’étendue de ses applications. Avec elles commence le domaine proprement dit du géographe, non pas différent, mais distinct à bien des égards de celui de l’ingénieur qui opère sur le terrain.

Les pays qui ont pris part à l’exposition des cartes manuelles sont, en dehors de la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, le Danemark, la Belgique, l’Angleterre, la Russie, l’Italie et les États-Unis. Disons tout de suite que dans cet ensemble d’atlas et de cartes usuelles la suprématie appartient incontestablement à l’Allemagne, et que je m’associe pleinement au jugement du jury, qui a décerné à nos voisins d’outre-Rhin les deux seules médailles d’or attribuées à cette classe de travaux. Que cet aveu nous coûte on non, l’Allemagne, dans l’état actuel des choses, a la suprématie tout à la fois par l’étude et par l’exécution ; il faut la lui reconnaître aussi dans la persévérance et l’efficacité des moyens qu’elle emploie pour accroître et propager les études géographiques.

Comme premier exemple, je citerai les deux cartes d’Allemagne, en neuf feuilles chacune, de M. Henri Kiepert, de Berlin, et Augustus Petermann, de Gotha. Ces deux cartes, largement exécutées, appartiennent à la catégorie des cartes dites murales. Ce sont des œuvres courantes, mais non, tant s’en faut, des œuvres communes. Les deux écoles cartographiques qui ont pour représentants les deux noms éminents que je viens de citer ne pensent pas, comme on le fait trop souvent chez nous et ailleurs, qu’une production de ce genre, parce qu’elle est populaire et à bas prix, doive être dessinée par des manœuvres anonymes, grossièrement exécutée par des graveurs à la toise, et que l’on puisse ainsi livrer au commerce, pour les études et les écoles, des ouvrages d’une exécution misérable. Nos voisins d’outre-Rhin, et c’est un de leurs grands mérites, montrent plus de respect pour le public et pour la jeunesse.

N’exagérons rien, pourtant. Je sais bien que dans les appréciations portées à distance il est difficile de ne pas dépasser un peu La mesure, en bien ou en mal ; et sûrement il ne faut pas se figurer que l’Allemagne elle-même sort de la loi commune, qui laisse au grand nombre l’ignorance indifférente. « Nous ne sommes pas tous des héros, » m’écrivait un jour à ce sujet un Allemand des plus éminents. Non, sans doute, une nation ne se compose pas de héros d’étude et de science ; mais il n’en est pas moins vrai que par la puissance active de causes diverses, par la multiplicité des grands centres universitaires, en rapport avec la multiplicité des centres politiques, par l’expansion de l’enseignement libre, par l’action considérable qu’a dû exercer la chaire longtemps populaire de Carl Ritter, par celle qu’exercent encore nombre de savants et de professeurs formés à son école ou inspirés de son exemple, par la vue familière des bons livres et des bons modèles, et enfin par ce souffle intérieur que l’on ne voit pas, qui ne se définit pas, mais qui pousse à leur insu les générations dans une bonne ou une mauvaise direction, selon les influences dont sont imprégnées l’atmosphère et la vie morale ; il n’en est pas moins vrai, dis-je, que par cet ensemble de causes plus ou moins directes, les compatriotes de Ritter et des deux Humboldt attachent plus de prix et s’adonnent avec plus de suite que la plupart des autres nations de l’Europe à l’ensemble d’études auxquelles la géographie se rattache. Aussi voit-on prospérer en Allemagne des entreprises et des publications faites dans des conditions de bon marché, jointes à une exécution supérieure, telles que partout ailleurs on ne les aurait pas crues possibles. L’établissement géographique de Julius Perthes, à Gotha (Saxe), auquel le jury a décerné, avec pleine justice, une médaille d’or, fait sous ce rapport de véritables prodiges. C’est là que se publient la récente édition du bel Atlas de Stieler, mise au courant de la science par le docteur Petermann ; l’Atlas Antiquus du docteur Mencke ; la suite nombreuse des Atlas historiques de Carl Spruner, véritables modèles d’investigations approfondies et de patiente érudition ; le grand et beau planisphère en huit feuilles de Hermann Berghaus ; et enfin, ce qui dépasse tout le reste, le journal géographique mensuel dont le titre est depuis longtemps populaire en Europe (Mittheilungen, c’est-à-dire Communications géographiques), et qui se publie sous l’habile direction du docteur Petermann. Jamais