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médiaires. Et comme on n’avait ni la boussole pour fixer les directions, ni le théodolite pour mesurer les angles, ni le secours de l’astronomie pour déterminer les positions, il devait forcément s’ensuivre les erreurs de direction et d’écartement des lignes de route croissant avec la distance, que l’altération des formes générales augmentait dans les mêmes proportions. C’est ce dont on peut juger par les descriptions des géographes contemporains, chez lesquels l’image des diverses contrées, le contour des côtes, la direction des fleuves et celles des chaînes de montagnes, sont souvent faussés et défigurés de la manière la plus étrange.

Tel fut, chez les anciens, l’état de la géographie dans sa partie la plus rigoureuse et la plus utile, la cartographie : des plans routiers, sur lesquels on établissait telle quelle l’image grossière de chaque contrée, mais pas une seule carte un peu générale réellement levée sur le terrain, ni rien qui approchât du figuré exact du relief du sol. C’étaient des tableaux plutôt que des cartes.


III

On peut bien penser que l’ignorance du moyen âge n’améliora pas cette branche de la science. Les premières cartes de cette période obscure (la plus ancienne est de la première moitié du treizième siècle) sont barbares et grossières comme l’époque elle-même. Le siècle suivant (le quatorzième) multiplia singulièrement ce genre de productions ; mais ce qui domine de beaucoup alors, ce sont les cartes à l’usage des navigateurs, — les portulans, comme disaient les gens de mer. Les relations commerciales de Gênes et de Venise dans la mer Noire et les parages orientaux de la Méditerranée, en même temps qu’ils rendaient nécessaires des cartes usuelles propres à y diriger les pilotes, avaient procuré de bons matériaux pour améliorer ces cartes ; et comme l’activité du mouvement maritime en devait rendre la demande très-considérable, il se forma dans les deux grands ports de la haute Italie, ainsi qu’à Pise et dans d’autres places maritimes, de véritables ateliers pour le dessin des portulans, — ce que l’on nomme dans l’histoire de la science les écoles de Venise, de Gênes, de Pise, etc. Plusieurs de ces cartes, qui se sont conservées et que l’on peut voir dans les grandes bibliothèques de l’Europe, sont extrêmement remarquables non-seulement par la beauté de leur exécution, mais par la parfaite exactitude du tracé des côtes et de la forme générale des diverses parties du bassin méditerranéen, notamment de la mer Noire ; sous ce rapport, elles offrent un contraste frappant avec les Mappemondes purement terrestres du même temps, où se reflète l’ignorance encore si grande alors sur les contrées lointaines, et même sur une grande partie de l’Europe. Une suite figurée de monuments cartographiques des différents âges, depuis la carte romaine, si singulièrement déformée, qu’on appelle la carte de Peutinger, jusqu’aux chefs-d’œuvre de la cartographie actuelle, n’aurait pas été un des épisodes les moins intéressants ni les moins instructifs de l’histoire du travail ; car ce n’est pas seulement l’histoire d’une branche de l’art et de la science qu’on aurait lue dans ce rapprochement, mais aussi l’histoire même du développement des rapports des nations de l’Europe entre elles et avec le monde extérieur, développement qu’une liaison intime a rattaché dans tous les temps à l’histoire générale des sciences et à la marche même de la civilisation.


IV

Bientôt après le renouvellement des études qui suivit de près la découverte de l’imprimerie, dès le commencement du seizième siècle, on vit paraître les premiers essais des cartes modernes. C’est dans les éditions successives de Ptolémée (l’oracle du temps, et pendant longtemps encore le fond principal des études géographiques), à partir de la précieuse édition de 1508, qu’il faut aller chercher ces rudiments de la science et de l’art modernes. Si imparfaits qu’ils soient encore de composition et d’exécution, ils montrent du premier coup un progrès considérable sur l’antiquité ; ils nous donnent la première idée de la carte, dans l’acception vraie du mot. Dans le cours du seizième siècle, les progrès sont continus. Les beaux atlas d’Ortelius et de Mercator, publiés de 1570 à 1594, marquent une grande époque dans l’histoire de la cartographie ; et la curieuse liste des cartes antérieures placée par Ortelius en tête de son recueil, dit assez avec quelle activité les cosmographes de l’Europe presque entière étaient entrés dans cette voie nouvelle.

On voit poindre dès cette époque les premiers essais de géodésie ; essais bien imparfaits encore, bien éloignés des méthodes rigoureuses et des admirables résultats auxquels on est arrivé de nos jours, mais qui les préparent et les font pressentir. Ce ne sont encore que des levés à la planchette, sur lesquels on rapporte à vue d’œil les cours d’eau et les accidents du sol ; et pour arriver de proche en proche, par l’emploi de ces matériaux sommaires, à la construction des cartes plus générales d’une province, d’un État, d’une région, on a seulement le secours d’un certain nombre de latitudes relevées à l’astrolabe. On n’en est pas encore à la détermination astronomique des longitudes, seul moyen de fixer avec certitude les grands intervalles terrestres dans le sens des parallèles, c’est-à-dire de l’est à l’ouest. Il est (en dehors de l’Europe) bien des pays, même aujourd’hui, où l’on ne procède guère autrement pour l’établissement des cartes locales.

Les travaux du savant Ortelius et de l’habile Mercator plaçaient la géodésie, aussi bien que la cartographie locale, sur un terrain qui n’attendait plus, pour porter tous ses fruits, que le perfectionnement des méthodes et des instruments. Ce dernier progrès fut en grande partie l’œuvre du dix-septième siècle. Le siècle de Galilée et de Kepler, de Pascal et de Newton, de Leibnitz et de Dominique Cassini, a été une époque grande et féconde entre toutes pour les études astronomiques et mathématiques. Le télescope, inventé en 1606, arma les