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le Dr Junghuhn a laissé un opuscule philosophique et littéraire (Licht-und Schattenbilder, etc.), où l’on rencontre des descriptions de la nature et de la vie javanaises, qui semblent être des stances d’une magnifique épopée.

Un autre résident de Java, le poëte et publiciste hollandais Dowes Dekker, a parsemé de scènes et de tableaux poétiques du premier ordre, un roman (Max Havelaar), qui est, dans son ensemble, une sorte de jungle littéraire. Je détache de l’une des parties épisodiques de ce livre bizarre, un conte qui me semble être à la fois l’une des plus heureuses inspirations de l’auteur et le meilleur exemple à citer pour clore cette digression.

LE TAILLEUR DE PIERRES.

Il y avait une fois au Japon un pauvre tailleur de pierres, simple ouvrier dans les carrières ; sa besogne était rude, il travaillait beaucoup, ne gagnait guère, et n’était pas content de son sort.

« Oh ! si seulement je pouvais être un jour assez riche pour me reposer, couché sur des nattes épaisses, enveloppé d’un moelleux kirimon de soie ! »

Telle fut la plainte qu’il exhala vers le ciel. Un ange la recueillit.

« Qu’il te soit fait selon ton désir ! » lui dit l’ange.

Et il était devenu riche, et il se reposait, couché sur des nattes épaisses, enveloppé d’un moelleux kirimon de soie.


Croquis fantastique de singes. — Fac-simile d’une gravure japonaise.


L’empereur vint à passer. Il était précédé de coureurs à pied et à cheval, suivi d’une brillante escorte de cavaliers, et entouré de gens qui tenaient élevé au-dessus de sa tête un grand parasol resplendissant de dorures.

« À quoi me sert d’être riche, murmura l’autre, aussi longtemps que je n’ai pas le droit de sortir avec une escorte et la tête protégée par un parasol d’or ? Pourquoi ne suis-je pas l’empereur ?

— Tu le seras, » lui dit l’ange.


Croquis de blaireau. — Fac-simile d’une gravure japonaise.

Et en effet, il était l’empereur ; il avait une escorte de cavaliers devant lui et derrière lui, et des gens qui tenaient élevé au-dessus de sa tête un grand parasol resplendissant de dorures.

Le soleil, cependant, de ses ardents rayons, desséchait les campagnes, et la route poudreuse réverbérait son éclat et fatiguait les yeux.

« Le bel avantage d’être l’empereur, s’écria celui-ci, quand l’ardeur du jour vous accable, et que Le soleil ne cesse d’exercer sur vous son pouvoir ! Parlez-moi d’être le soleil : à la bonne heure !

— Regarde ! es-tu content ? » lui demanda l’ange.

Car il était devenu le soleil ; et il dardait ses rayons en haut et en bas, à droite et à gauche, et tout autour de lui.