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indispensable par les dissensions séculaires et la faiblesse de ses sectateurs.

Du reste, sans sortir du point de vue artistique, on comprendra par ce qui précède quelle influence ce système des castes a exercée sur la disposition des temples indous. J’ai cru remarquer quelle avait fait établir des sanctuaires secrets pour les premiers des adeptes, et qu’ils étaient séparés des enclos destinés aux classes moyennes, chaque enceinte éloignant davantage ceux que l’échelle sociale plaçait plus bas. La beauté du climat et sa chaleur ont permis de laisser de vastes espaces découverts en se contentant de galeries, et dans beaucoup de petites pagodes on a encore simplifié en se bornant à renfermer l’autel dans un enclos. Mais là où les idées superstitieuses se sont concentrées et où la libéralité des monarques a consacré de grandes ressources, on a déployé un grand luxe d’édifices de tous genres, de galeries, d’enceintes multipliées, et qui semblent éloigner de plus en plus la divinité principale des regards des castes inférieures. Mais on remarque aussi que tout le luxe architectural a été disposé pour ces castes, que c’est sur elles qu’on semble avoir cherché à produire le plus d’impression : car l’enceinte une fois franchie le grandiose s’atténue et s’efface, et nous verrons qu’après avoir traversé plusieurs enclos, on se trouve en présence de ce qu’il y a de plus mesquin dans la pagode ; c’est-à-dire du sanctuaire de la divinité : comme si les prêtres qui la desservent s’étaient dit qu’il était inutile de ménager des illusions pour eux-mêmes.


Portique de l’enceinte : Coupe et plan.

Divers auteurs donnent à cette pagode le nom de Challembrom, d’autres celui de Chillambaran ; cette dernière orthographe m’a paru se rapprocher davantage de la prononciation des Indous, en grasseyant les dernières syllabes. Elle est située dans une vaste plaine, à neuf kilomètres dans l’ouest de l’embouchure de la petite rivière de Porto-Novo, près de laquelle se trouve un haut fourneau qui est situé à vingt-cinq milles ou quarante-six kilomètres dans le sud de Pondichéry. On ne connaît pas l’époque de sa construction ; des légendes la font remonter aux temps fabuleux en s’appuyant sur des inscriptions en caractères inconnus maintenant ; mais dans ces pays on trouve des inscriptions qui, bien que récentes, ne sont plus intelligibles. Il y en a près de Delhy qui datent de 1200 de notre ère et ne peuvent plus être lues ; en Perse, le caractère sassanyde a été oublié avec la dynastie qui l’employait ; lorsque celle-ci fut expulsée, l’usage en fut prohibé. Les grandes révolutions politiques ont partout entraîné des proscriptions littéraires et ont effacé beaucoup des traces historiques, jusqu’à ce que l’imprimerie vînt donner au monde la garantie de son universalité. D’après les écrivains indous, un brahme qui avait lu sur cette pagode une histoire dont le manuscrit a été acquis par La Bibliothèque impériale, disait qu’elle avait été construite par trois monarques célèbres, et qu’elle avait été achevée l’an 400 du Kaly youga, ou quatrième âge des Indiens (617 avant Jésus-Christ). Les brahmes lui donnent plus d’antiquité et reculent sa fondation à 4640 ans avant l’époque actuele. Cette date est d’une exactitude très-douteuse ; mais il est certain que ces édifices et d’autres encore plus considérables, situés dans un rayon d’une trentaine de lieues, sont dus à un gouvernement puissant et à l’art avancé d’une époque dont il ne reste aucun vestige. On ignore combien d’années on y a consacré, quelles difficultés il a fallu vaincre dans un pays ignorant et auquel on ne connaît pas de machines, pour extraire, transporter et surtout élever de telles masses de pierre. L’immensité des travaux prouve depuis combien de siècles elle jouit d’une vénération, constatée par un passage du Sidâmbara Pourâna, qui, déclarant qu’un million d’aumônes à Bénarès, un million à Tiroupadi, deux à Koubayam, tout cela ne vaut pas plus qu’une seule faite à Sidâmbara, fait dire au roi de l’Univers, c’est-à-dire à Çiva :

« Je suis moi-même un des trois mille prêtres établis à Tilley, l’un des noms de Sidâmbara, ou Challembrom. »