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populaire ou des loisirs des yaskis seigneuriaux et des bonzeries, ils portent l’empreinte toute moderne des études critiques de l’université de Yédo, ils sont marqués au coin de la froide raison qui distingue l’école philosophique de Confucius.

Le missionnaire américain Verbeck nous en a fait connaître un des plus remarquables spécimens, le Recueil des actions vertueuses accomplies au Japon et en Chine, œuvre d’un Japonais enfant de Yédo et disciple de l’université. Une courte citation permettra d’apprécier et le livre et l’école à laquelle il appartient :

Tous les hommes, dit l’auteur, invoquent quelque divinité pour se préserver, eux et leurs familles, de la mauvaise fortune. Les uns adressent leurs prières à la Lune ; d’autres veillent toute la nuit pour saluer le Soleil levant de leurs adorations ; d’autres encore invoquent les Dieux du ciel ou de la terre et le Bouddha. Mais adorer la Lune, le Soleil, les Dieux ou Bouddha, sans faire ce qui est bien, c’est comme si l’on demandait que la tige du riz sortît de terre avant que l’on en eût semé la graine. Soyez bien persuadés que dans ce cas la Lune, le Soleil, les Dieux et Bouddha pourront sans doute avoir pitié de vous, mais qu’ils ne feront jamais lever le riz dont vous n’aurez pas jeté la semence en terre…

Confucius a dit : Celui qui offense le Ciel n’a personne qu’il puisse invoquer avec fruit ; et le sage japonais Kitamo no Kami a écrit : Si tu ne détournes pas ton cœur de la vérité et du bien, les dieux prendront soin de toi sans que tu les invoques…

Être vertueux, c’est adorer.

Sous le règne de l’un des anciens Mikados, l’on vit paraître au ciel une étoile inconnue. Un célèbre astronome l’ayant observée, déclara qu’elle présageait quelque grande calamité qui allait fondre sur la famille de l’un des généraux en chef de l’Empire. À cette époque, Nakahira était le général en chef de la gauche, et Sanégori le général en chef de la droite. En apprenant la prédiction de l’astrologue, Sanégori et sa famille coururent adorer, sans se donner le moindre repos, dans tous les
La vieille femme et le moineau.
temples du Bouddha et du Sintô qui se trouvaient aux environs, tandis qu’il ne se fit rien de pareil du côté de la famille de Nakahira. Un prêtre remarqua cette particularité et se rendit aussitôt chez Nakahira pour lui en témoigner sa surprise : Sanégori, lui dit-il, visite tous les saints lieux et y offre des supplications dans le but d’échapper au malheur que présage l’étoile inconnue. Pourquoi n’en faites-vous pas de même ?

Nakahira, qui avait écouté attentivement le prêtre, lui répondit : Vous avez bien observé ce qui se passe ; vous saurez apprécier ma justification. Puisque l’on annonce que l’étoile doit porter malheur à l’un des généraux en chef, il faut bien que la calamité prédite tombe sur Sanégori ou sur moi. Or, en y réfléchissant, je trouve que je suis très-avancé en âge et que je n’ai pas
Le magicien malgré lui.
de talent militaire. Sanégori, au contraire, est à la fleur de ses années et tout à fait à la hauteur de son poste. Conséquemment si je faisais des prières et qu’elles dussent être exaucées, de manière à détourner de ma tête la calamité qui peut la menacer, ce ne serait qu’au plus grand péril de Sanégori et au détriment de l’Empire. Je m’abstiens donc, afin de concourir, autant qu’il dépend de moi, à ce que la précieuse vie de cet homme soit épargnée.

À l’ouïe de ces paroles, le prêtre ne put contenir son émotion et s’écria : Certainement une si noble pensée est le meilleur acte de culte que vous puissiez faire, et bien certainement, s’il y a des dieux et un Bouddha, ce n’est ni sur vous ni sur votre famille que la calamité tombera !

Les contes moraux sont conçus dans le même esprit ; mais ils nous transportent en pleine vie bourgeoise, et ils suffiraient à démontrer que l’inspiration poétique, je dirai même le bon goût littéraire sont loin d’être étrangers à la classe moyenne de la société japonaise.

Sir Rutherford Alcock en a cité deux des meilleurs dans sa « Capitale du Taïkoun, » et nous les reproduisons avec le fac-similé des modestes illustrations qui leur ont été consacrées dans les esquisses d’Hofksaï.

LA VIEILLE FEMME ET LE MOINEAU.

Il y avait une fois un vieux couple, sans enfants. Le mari, un beau matin, apporta un moineau en cage. Les