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lade d’oignons de lotus, complètent le menu bourgeois d’un dîner japonais.

Le thé et le saki en sont l’accompagnement obligé, et ces deux boissons se consomment ordinairement chaudes, sans mélange d’aucun autre liquide et sans sucre.

Les théières qui les contiennent reposent sur un brasero, en forme de cassette, un peu plus grand qu’un autre meuble correspondant, le tabacco-bon, où l’on dispose le charbon, le ratelier de pipes et les provisions de fumeurs.

Je n’ai jamais examiné les autres ustensiles des repas japonais : ces bols, ces coupes, ces soucoupes, ces boîtes, ces plateaux en laque ; ces vases, ces tasses, ces flacons en porcelaine, ces théières en terre poreuse vernissée ; et je n’ai jamais contemplé les convives à l’œuvre, la grâce de leurs mouvements, la dextérité de leurs mains généralement si fines, sans me figurer que j’avais sous les yeux une société de grands enfants, jouant au petit ménage et mangeant pour s’amuser plus encore que pour satisfaire leur appétit.

Les maladies provenant d’excès de table ou d’un régime alimentaire malsain leur sont généralement inconnues ; mais l’usage souvent immodéré qu’ils font de leur boisson nationale entraîne à sa suite de graves désordres. J’ai été moi-même témoin de plus d’un cas de délirium tremens.

Les ravages que la dyssenterie et le choléra ont causés dans quelques parties du Japon, entre autres à Yédo, ne surprendront pas le résident européen qui a eu l’occasion de voir avec quelle imprudente avidité les enfants et les gens du peuple se livrent à La consommation des melons d’eau, des limons, des pamplemousses et de toutes sortes de fruits du commencement de l’automne, avant qu’ils aient atteint leur pleine maturité. Il est d’ailleurs très-rare que les maisons japonaises possèdent de l’eau vraiment salubre, car les indigènes ne connaissent que l’usage des citernes, même à Yédo où les sources abondent et où il serait facile d’établir dans tous les quartiers de la ville des fontaines jaillissantes. Au reste, les inconvénients et le danger de cet état de choses sont tempérés par la circonstance que les Japonais ont l’habitude de boire chaud en toute saison.

Leur hygiène populaire ne s’accommode de même que de bains chauds, et ils en prennent chaque jour. Ce besoin de propreté, la salubrité de leur climat, les excellentes qualités de leur régime alimentaire, devraient faire des Japonais l’un des peuples les plus sains et les plus robustes du globe. Il en est peu cependant qui soient plus affligés de toutes sortes de maladies de la peau et d’affections chroniques ou incurables ; et certes ce n’est pas dans les conditions naturelles d’existence de la nation que l’on doit rechercher la cause de ce triste phénomène. Tout indique, au contraire, qu’il ne faut pas remonter bien haut pour la découvrir, et qu’elle date, en réalité, de l’époque où le gouvernement des Siogouns autorisa la fondation et couvrit officiellement de sa protection le développement d’une ignoble institution, dont les funestes conséquences, en atteignant la famille, attaquent dans sa base naturelle tout l’édifice de la société.

Il y a un grand nombre de médecins au Japon, et principalement à Yédo. Ceux qui sont attachés à la cour du Taïkoun appartiennent à la classe des hattamotos, portent deux sabres, se rasent la tête et occupent un rang plus ou moins élevé, d’après lequel on peut les diviser en deux catégories de fonctionnaires. La première, nécessairement très-limitée, comprend les médecins qui font partie de la maison du Taïkoun. Ils ne pratiquent pas en dehors du palais. Les honoraires qu’ils reçoivent, tant en nature qu’en argent, peuvent représenter une valeur de quinze à vingt mille francs par an. Ceux de la seconde catégorie sont des officiers de santé qui suivent l’armée en temps de guerre. Ils touchent une solde que l’on peut estimer à dix mille francs au maximum, et quand ils ne sont pas au service, ils pratiquent occasionnellement parmi les familles de leurs relations.

Les uns et les autres sont à la nomination du Taïkoun ou de son gouvernement.

Les membres du corps médical qui ne sont ni fonctionnaires ni officiers, c’est-à-dire les praticiens proprement dits ou les médecins de troisième classe, sortent tous des rangs de la bourgeoisie. La plupart ont fréquenté pendant quelque temps l’université de Kioto ou celle de Yédo ; mais il en est aussi qui, appartenant à des familles où l’on est médecin de père en fils, n’ont jamais reçu de leçons que dans la maison paternelle.

Comme il n’y a pas d’examens requis pour l’exercice de la médecine, chacun entre dans la carrière à son gré et pratique selon la méthode de son choix : celui-ci s’en tient à la routine des empiriques indigènes ; celui-là traite ses patients d’après les règles de la science chinoise ; un troisième se pose en adepte de la médecine hollandaise, et, en réalité, il n’existe communément chez eux ni méthode, ni système. Les études universitaires au Japon sont extrêmement superficielles, et il ne saurait en être différemment dans un pays où aucun élève ne possède les connaissances préparatoires que suppose l’enseignement supérieur. La réforme de cet état de choses ne pourra s’opérer qu’à l’aide d’un contact prolongé avec l’Europe. En tout cas, le peuple ne la réclame nullement. Ce qu’il lui faut, c’est d’avoir beaucoup de médecins à sa disposition, c’est d’être traité et médicamenté plutôt selon trois méthodes conjointement que d’après la meilleure, supposé qu’elle existe, et, pour tout dire enfin, c’est de rencontrer, chez les hommes de l’art, des serviteurs complaisants, attentifs à ne pas contrarier les idées de leurs malades et scrupuleux à justifier la confiance dont leur profession est honorée. Cette dernière partie de leur rôle les oblige à une certaine tenue qui impose au public et les distingue du reste de la société.

On reconnaît les praticiens japonais à leur mise sévère, à leur démarche méthodique et à quelques particularités curieuses qui paraissent varier au gré de la