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lettrés et les poëtes, les médecins et les étudiants, et les peintres, et les comédiens.


Les classes lettrées de la bourgeoisie.

Vers le milieu du jour, pendant la saison chaude, les rues de Yédo deviennent désertes ; les rives des canaux sont jonchées d’embarcations vides, amarrées sur les grèves que le reflux laisse à découvert. Aucune clameur, aucun bruit ne s’élève du sein de la grande cité. Si l’on distingue encore, çà et là, tantôt un voyageur, tantôt une couple de pèlerins, hâtant le pas pour arriver à leur étape ce midi, on les voit cheminer en silence, la tête baissée et les yeux fatigués de l’éclat de la route. Cependant les rayons du soleil tracent de grandes zones lumineuses et y dessinent les contours des ombres épaisses qui tombent des larges toitures sur les dalles des trottoirs, ou des arbres centenaires sur le gazon des promenades et des bosquets sacrés.

Le peuple des rues et des canaux s’est retiré à l’abri des hôtelleries ou du toit domestique, dans le profond réduit des pièces du rez de-chaussée, pour y consommer le principal repas de la journée et pour s’abandonner ensuite, pendant quelques heures, au sommeil.

En poursuivant notre route de rue en rue, sur les trottoirs abrités, nos regards, à peine interceptés par les châssis entr’ouverts des maisons bourgeoises, plongent
Types de la classe bourgeoise. — Dessin de A. de Neuvile d’après une photographie.
dans les intérieurs des ménages, et y rencontrent des groupes pittoresques d’hommes, de femmes et d’enfants, accroupis autour de leur modeste dîner.

La nappe, faite de paille tressée, est mise sur les nattes du plancher. Au centre s’étale une grande gamelle en bois laqué, contenant le riz, qui forme la base de l’alimentation chez toutes les classes de la société japonaise. La meilleure manière de le cuire consiste à l’enfermer dans un tonnelet de bois très-léger, que l’on plonge dans une chaudière d’eau bouillante. Chaque convive attaque la provision commune, en y prenant d’abord de quoi remplir et couronner en chapiteau une grande tasse de porcelaine, et il mange celte portion de riz en portant la tasse à ses lèvres sans se servir des bâtonnets qui tiennent lieu de fourchette, si ce n’est à la fin, pour préparer les dernières bouchées et aussi pour ajouter à la nourriture céréale quelque morceau de poisson, de crabe ou de volaille, choisi sur les plateaux de laque consacrés à l’étalage des produits du règne animal.

Ces mets sont assaisonnés de sel marin, de piment et de soya, sauce très-énergique que l’on tire d’une fève noire, en la soumettant à la fermentation. Des œufs mollets ou durs, frais ou conservés, des légumes bouillis, tels que navets, carottes, patates douces ; une vinaigrette aux tranches de jeunes pousses de bambous ou une sa-