Page:Le Tour du monde - 16.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clusion de trois mois au Tobé, résidence des gouverneurs de Kanagawa. Il y était enfermé avec d’autres malfaiteurs dans une haute cellule se composant de quatre murs blanchis à la chaux, surmontés d’un grillage en épais madriers, et il recevait journellement pour son alimentation, une boule de riz et un tempo, monnaie de quinze centimes, en échange de laquelle le geôlier lui fournissait du fruit ou quelque légume. Mais généralement l’emprisonnement n’est que l’accessoire de la peine proprement dite,
Le dépôt des accusés[1].
qui consiste toujours en un châtiment corporel, tel que le marque et la fustigation. Tout vol qualifié, d’une valeur inférieure à quarante itzibous, ou cent francs, comporte la peine de la marque. Au lieu de l’empreinte au fer chaud, l’on fait usage d’une sorte de lancette pour pratiquer sur le bras gauche une incision de la forme convenue, dont on rend la cicatrice indélébile au moyen de la poudre à tatouer.
L’interrogatoire : on met devant les yeux du prévenu son acte d’accusation.
L’opération se fait à la fois dans deux pièces contiguës du bâtiment des prisons. Le condamné se tient agenouillé dans la première, à côté d’une paroi à travers laquelle il passe, par un étroit guichet, le bras gauche dans la seconde pièce, où un chirurgien exécute, avec tous les soins qu’exige ce travail, la marque qui lui est indiquée par les termes de la sentence. De récidive en récidive, un filou de
La question : on l’agenouille sur des bûches et l’on entasse des dalles sur ses genoux.
profession qui a la prudence de se borner aux vols de moins de cent francs, peut arriver au chiffre de vingt-quatre marques, avec cette seule aggravation, que les dernières sont appliquées sur le front, et que, à partir de la troisième, toutes les autres sont accompagnées de la fustigation. La peine de la fustigation elle-même est d’ailleurs graduée jusqu’à l’extrême limite des forces du patient. Le médecin de la prison assiste le misérable, lui tâte le pouls, et donne au bourreau le signal de la clôture du supplice. Tout malfaiteur qui retombe entre les mains de la justice après avoir été marqué vingt-quatre fois, ou qui commet un vol dont la valeur dépasse quarante itzibous, est condamné à la peine capitale. Le plus souvent l’on attend qu’il y ait trois ou quatre exécutions à faire, et l’on y procède dans une cour de la prison, sans autres témoins que les gouverneurs de la justice criminelle et leurs officiers. Chaque condamné est amené, à son tour, en leur présence, les yeux bandés et le kirimon rejeté en arrière sur les épaules. On fait mettre le malheureux à genoux ; quatre valets de bourreau, accroupis à ses côtés, lui tiennent les pieds et les bras, et sa tête tombe sous le glaive éprouvé du maître des hautes œuvres. On la jette dans un baquet pour la laver et l’exposer ensuite avec les autres, pendant vingt-quatre heures, sur l’une des places de marché de la Cité. Le corps, immédiatement dépouillé et lavé, est enfermé dans un sac de paille ; et quand le premier sac est attaché, l’on amène le second condamné,

  1. Prison où sont jetés pêle-mêle, et souvent pour longtemps, des prévenus qui peuvent, en payant, se procurer certaines douceurs. Par exemple, celui de droite : cinq nattes qui lui permettent de s’installer exhaussé au dessus du sol pavé ; son voisin s’est acheté non-seulement des nattes, mais une couverture ouatée ; tous les autres restent accroupis sur le pavé.