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yétas, les gens à métiers impurs : bouchers, corroyeurs et mendiants.

Un daïmio et sa suite, ou quelque fonctionnaire du Taïkoun viennent-ils à passer en cérémonie, c’est au bourgeois de faire attention aux avertissements des hérauts d’armes et des coureurs, et de se ranger à temps sur le bord du chemin, la tête découverte, le corps immobile et accroupi, s’il ne veut s’exposer à recevoir un coup de sabre ou à être foulé sous les pieds des chevaux. Il est juste d’ajouter que le plus souvent les seigneurs et les gens du Castel parcourent les rues de la Cité dans une sorte d’incognito, sans se faire rendre les honneurs dus à leur haute position. Lorsqu’ils trouvent à propos de les exiger, ils prennent soin d’ailleurs de signaler de très-loin leur approche, non-seulement par leur avant-garde obligée, mais au moyen d’insignes bien connus du peuple, arborés au sommet de très-longues piques que l’on porte en tête du cortége.

Dans les rapports d’affaires qui amènent le marchand, l’akindo, en présence du samouraï, le premier doit saluer son supérieur en se prosternant à plusieurs reprises. Quand il franchit le seuil d’une demeure noble, il s’agenouille, et, le front courbé sur le sol, il attend dans cette posture qu’un mot du maître de la maison, lui permette de se lever ; encore ne lui parlera-t-il jamais que la tête inclinée, le corps ployé en avant et les deux mains pendantes sur les genoux.

Le lendemain d’un incendie qui avait ravagé tout un quartier du Castel, un officier de Yédo vint requérir des charpentiers japonais employés aux constructions européennes de Yokohama. Un chef de chantier lui faisant des observations sur les conséquences fâcheuses que
Pilier public et magasins d’entrepôt du Nippon-Bassi. — Dessin de Férat d’après une peinture japonaise.
pourrait avoir le départ subit et non autorisé de tant d’hommes engagés à terme fixe, par des marchés en due forme, l’officier, impatienté, abattit à ses pieds, d’un coup de sabre, le malencontreux raisonneur.

Il existe, assure-t-on, des rapports plus multiples et plus étroits qu’il n’y paraît, entre la Cité et le Castel. La Monnaie taïkounale frappe, ou plutôt fond et coupe journellement vingt et un mille itzibous. Ce sont des pièces d’argent, assez jolies, plates, allongées, quadrangulaires, ressemblant à des tablettes de pharmaciens, et valant environ deux francs, plus ou moins, selon le cours du change. Comme tous les travaux qu’exige cette fabrication s’exécutent à la main, sans l’aide de machines, l’on y emploie un grand nombre d’ouvriers, pris naturellement parmi la population bourgeoise. En entrant, le matin, dans le bâtiment de la Monnaie, ils doivent laisser leurs habits au vestiaire, et ils ne les reprennent, en sortant, à la fin de la journée, qu’après avoir subi l’inspection la plus minutieuse. Cela n’empêche pas que la plupart des itzibous du Taïkoun, finissent toujours par prendre le chemin de la Cité, car ils y sont fatalement entraînés par les innombrables canaux du commerce. Il résulte de ce fait, que les daïmios, les samouraïs et le Taïkoun lui-même, toutes les fois qu’ils ont besoin de quelque grosse somme de numéraire, doivent nécessairement s’adresser dans le quartier où l’on en trouve des réservoirs ; et c’est ainsi, par exemple, que le bon bourgeois Mitsouf, marchand de soieries en gros et en détail, est devenu, à ce que l’on dit, le banquier du gouvernement.

A. Humbert.

(La suite à la prochaine livraison.)