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chaux et fermés d’une porte et d’un ou deux volets en fer. Il y a même ordinairement, sur leurs quatre murs, de gros crochets où l’on suspend, quand il y a péril imminent, des pattes et des serpillères mouillées.

Ni ces godowns, ni ces échelles, ni ces cuves ne contribuent, on peut le croire, à l’embellissement de la capitale. En ceci, comme en toutes sortes de détails de la vie japonaise, le beau est sacrifié à l’utile. La même observation s’applique aux disgracieuses barrières, composées de poutres et de traverses peintes en noir, dont tous les quartiers de Yédo sont entrecoupés. Elles ont une grande porte centrale et deux poternes latérales, que l’on tient ouvertes durant la journée, lorsque d’ailleurs tout est dans l’ordre, mais que l’on ferme régulièrement à neuf ou dix heures du soir. Les gens attardés doivent tirer le cordon de la poterne qu’ils rencontrent sur leur passage, et répondre aux questions que leur adresse le yakounine remplissant l’office de portier. Si c’est un bourgeois qui se présente, le yakounine le fait passer par la poterne ; si c’est un samouraï, on lui ouvre à deux battants la grande porte au centre de la barrière.

Lorsque, en plein jour, la police veut opérer des arrestations, faire des perquisitions domiciliaires, intervenir dans un tumulte de rue, ou porter secours quand il est arrivé quelque accident grave, elle commence par isoler le théâtre de ses opérations en fermant toutes les
Marchand de friture. — Dessin de A. de Neuville d’après une esquisse japonaise.
barrières dans un rayon plus ou moins étendu. Le maire du quartier et, selon les cas, les dizeniers de la rue, agents du gouvernement, responsables envers lui et sur leur tête, de la conduite de leurs subordonnés, sont nécessairement requis à l’occasion de pareilles mesures, et ils peuvent eux-mêmes en prendre l’initiative

Dans tous les États despotiques, c’est principalement sur la bourgeoisie que s’appesantit le joug du pouvoir.

Au Japon, la bourgeoisie ne s’est formée et n’existe en réalité que dans les cinq villes taïkounales, qui sont : Kioto, Yédo, Osaka, Sakaï et Nagasaki, auxquelles l’on peut ajouter les nouveaux ports de Yokohama, de Hiogo et d’Hakodate.

Cette classe toute récente de la société japonaise est la vraie base de la puissance des Taïkouns, de la richesse de leur commerce, de la prospérité de leur Empire. Elle porte en son sein le germe du grand avenir auquel le Japon contemporain semble être appelé.

Néanmoins elle n’exerce aucun droit civique, et le dernier des hattamotos dédaignerait de s’allier à la meilleure famille de la cité,

La noblesse territoriale et la caste gouvernementale affectent, l’une et l’autre, de placer indifféremment l’artisan, le boutiquier, le gros négociant même, au-dessous de l’agriculteur, au dernier degré de l’échelle sociale, à l’extrême limite au delà de laquelle il n’y a plus que les