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ment de ce pays des rapports de confiance qui ont singulièrement facilité la conclusion des traités de 1854 et de 1858.

Le commissaire royal hollandais, M. Donker-Curtius, qui précéda d’une année au Japon le commodore Perry, exerça sur les autorités indigènes la plus heureuse influence. C’est à lui que les Portugais doivent le retrait de la proscription spéciale qui les avait frappés au dix-huitième siècle. Enfin, c’est à l’aide des bons offices du gouvernement hollandais et particulièrement de son agent actuel, M. de Graeff van Polsbrœk, que la Confédération suisse en 1864, la Belgique en 1866, et le Danemark en 1867, ont conclu leurs traités de commerce et d’amitié avec le Japon.

Les bienfaits intellectuels dont le Japon est redevable à la Hollande ne sauraient tomber sous notre appréciation. Cependant ils ont laissé deux monuments qui leur rendent témoignage dans le quartier même que nous visitons. L’un est la bibliothèque impériale, l’autre le conservatoire impérial des arts et métiers. Malheureusement l’accès en est interdit aux Européens, et il n’est pas facile de connaître ce que renferment ces vastes collections, ni de savoir jusqu’à quel point le gouvernement les utilise.

Voici, sur ce sujet, quelques renseignements que j’ai recueillis d’après des observations nécessairement fort incomplètes.

L’une des sections les plus remarquables de l’université de Yédo est le collége des interprètes. Les nombreux étudiants qui le fréquentent ont le rang d’officiers et portent les deux sabres. Tous doivent apprendre le hollandais, qui est la langue des relations diplomatiques, celle dans laquelle se traitent les affaires du gouvernement japonais avec les puissances étrangères. Cette base posée, les uns étudient, en outre, l’anglais ; d’autres le russe ; d’autres le français, le portugais, l’allemand, le danois, et il faut encore ajouter l’italien, depuis que l’Italie aussi a conclu, sous le patronage de la France, un traité avec le Japon. Ainsi, chacune des langues parlées par les nations contractantes est représentée à Yédo, selon l’importance qu’on lui attribue, par un groupe plus ou moins considérable d’interprètes indigènes.

Ces fonctionnaires sont complétement à la disposition du gouvernement et classés dans un ordre hiérarchique qui détermine la nature et la valeur du mandat qu’on leur confie.

Moriyama Yénoské, qui a tant excité la verve railleuse d’Oliphant, était autrefois l’interprète obligé de toutes les négociations relatives à la conclusion ou à la révision des conventions internationales. Lorsque, à mon tour, je fis sa connaissance, il me parut évident qu’il était monté en grade. Il venait de remplir à Paris une mission de confiance du Gorogio auprès de l’ambassade japonaise qui visita l’Europe en 1863. Je ne le vis figurer que dans deux occasions solennelles et moins comme interprète que comme confident des gouverneurs des affaires étrangères auxquels il était adjoint. L’on m’assura qu’il pourrait bien un jour devenir leur collègue.

D’autres interprètes, arrivés pareillement au sommet de l’échelle, ont le mandat spécial de lire et d’annoter, à l’usage du Gorogio, les journaux que la cour du Taïkoun reçoit directement d’Europe, ainsi que les nouveautés scientifiques ou littéraires qu’elle tient de la bienveillance des Légations.

Toutes ces publications sont soigneusement conservées dans la bibliothèque impériale. On en tire peu à peu la matière d’ouvrages plus ou moins étendus, composés en japonais pour les classes d’officiers civils ou militaires qu’ils peuvent intéresser, et même pour le public en général. C’est ainsi que l’on possède des fragments du Cosmos de Humboldt, un abrégé de la Macrobiotique d’Hufeland, une traduction de l’Atlas de Stieler et du Traité de Maury sur les courants maritimes.

Un gouverneur japonais demandait un jour à M. von Brandt, attaché à l’ambassade du comte Eulenbourg, s’il était le fils du général von Brandt, auteur d’un excellent manuel de tactique. Sur la réponse affirmative de l’attaché prussien, le gouverneur lui fit hommage, le lendemain, d’un volume imprimé déjà depuis quelques années, qui renfermait la traduction japonaise de ce manuel.

Pendant toute la durée de la guerre civile des États-Unis, l’on publiait à Yédo, à intervalles irréguliers, une relation des derniers événements, accompagnée de gravures sur bois, exécutées d’après les illustrations des feuilles américaines.

Outre les compilations et les traductions faites dans l’idiome national, il n’est pas rare de voir, entre les mains des Japonais, certains ouvrages écrits et imprimés en langue hollandaise, spécialement les manuels d’après lesquels les officiers néerlandais font leur théorie militaire.

M. le capitaine de vaisseau Lecuriault du Quilio, commandant de la Sémiramis, s’étant emparé d’une redoute du prince de Nagato, à l’entrée du détroit de Simonoséki, trouva dans la place un livre hollandais ouvert, abandonné à côté d’une pièce démontée : c’était un traité de tir au canon, que le commandant de la batterie avait évidemment consulté pour diriger son feu sur les navires qui s’engageaient dans le détroit.

Une école d’ingénieurs se rattache au conservatoire des arts et métiers de Yédo. La plupart des professeurs de cette institution scientifique sont d’anciens élèves des officiers de marine hollandais que le roi des Pays-Bas, sur la demande du Taïkoun, a envoyés au Japon en deux détachements successifs. Le second était commandé par le capitaine de frégate H. de Kattendijke, qui, à son retour à la Haye, est devenu ministre de la marine. C’est sous ses ordres que l’ingénieur Hardes a construit l’atelier de machines d’Akkanoura, près de Nagasaki, le premier établissement de ce genre qui ait été fondé au Japon ; et c’est la petite école navale instituée à la même époque (1857) à Nagasaki, qui a mis