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La forêt de Fontainebleau a ses mystères ; ils ne se révèlent qu’à ceux qui ont le loisir et le goût de vivre dans son intimité. Au premier rang des initiés il faut compter les paysagistes, qui ne cessent d’y chercher des sujets d’étude. Plus particulièrement établis à deux de ses extrémités, aux villages de Barbison et de Marlotte, ils passent la belle saison à étudier et à peindre, les uns dans la futaie du Bas-Bréau, et dans les Gorges d’Apremont, les autres dans la Gorge-aux-Loups, sites admirables qu’ils ont pour ainsi dire acquis par prescription comme leurs domaines privés.

Le village de Barbison, situé sur la lisière de la forêt, et d’aspect assez triste, comme sont tant de villages en France, est, à cause de son isolement et du voisinage de la majestueuse futaie du Bas-Bréau, le séjour favori d’une colonie de peintres paysagistes. Quelques-uns, comme MM. Théodore Rousseau, Millet, Ziem… y ont leur maison d’habitation. Mais la plupart des paysagistes, qui viennent seulement y passer une saison, se logent à l’Hôtel des Artistes ou Hôtel Luniot-Gane, de haute et déjà ancienne renommée ; et les simples touristes ne marquent pas de diriger une fois de ce côté leurs excursions. Chaque peintre a laissé dans cette maison aimée des traces artistiques de son passage. Les salles, les portes, les armoires, les cheminées, sont couvertes de peintures, de paysages, d’animaux, de scènes diverses. Decamps y a peint une tête de Turc ; Jérôme, des Théories antiques se déroulant sur le bandeau d’une cheminée ; Diaz y a semé des bouquets de fleurs, etc… Toutes les écoles, tous les systèmes sont là en présence, juxtaposés dans leur libre opposition, qui n’est plus ici de l’antagonisme et de la lutte, mais une riante fraternité.


Futaie du Bas-Bréau près de Barbison. — Dessin de D. Grenet.

À quelque distance de Barbison, on va visiter le château de Fleury, qui fut la propriété du cardinal de Richelieu. Un peu plus loin est le parc de Courances, appartenant à la famille de Nicolaï et laissé, depuis 1830, dans un état d’abandon. Ses arbres magnifiques, tout enveloppés de lierre, sont pour les peintres de précieux motifs d’études. Toute une population de corbeaux a établi son domicile aux sommets de ces vieux arbres. On en fait la chasse tous les ans vers le 15 mai, lorsque les petits commencent à prendre leur vol.

Dans une direction opposée, les touristes, après avoir exploré la chaîne du Long-Rocher, peuvent descendre, dans le voisinage, au village de Montigny (voy. p. 28), situé sur la rivière du Loing, et regagner de là rapidement Fontainebleau par le chemin de fer. Si l’on suit vers l’est les sinuosités du Loing, on arrive à Moret, ville que ses monuments du moyen âge recommandent encore à la curiosité. Enfin, au-dessous et à cinq kilomètres de Moret, les eaux confondues du Loing et de la Seine passent au pied de Thomery, riche et élégant village, si connu des gourmets. Il est formé de jardins étagés les uns au-dessus des autres ; ses murs, ses maisons, ses rues sont des treilles, et la culture du chasselas dit de Fontainebleau lui rapporte annuellement près d’un million et demi.

Du Pays.