doue qui se rendaient à Pampelune pour une corrida. « C’est ainsi, ajoute le voyageur, que j’appris qu’il existait à Cordoue un Patio de los Naranjos. »
Ce patio, qui n’existait pas dans l’origine, est, dit-on, une des additions faites à la mosquée par le khalife Al-Mansúr. Un historien arabe raconte comment ce souverain procédait à l’égard des propriétaires qu’il voulait déposséder ; cette anecdote ne manque pas d’intérêt par le temps d’expropriations où nous vivons.
« Le khalife fit venir les propriétaires des maisons à détruire, et s’adressa ainsi à chacun d’eux en particulier :
« Ami, j’ai besoin de ta maison : il faut que je te l’achète pour augmenter la grande mosquée, car cet édifice est utile et même nécessaire au peuple. Demande-moi donc le prix que tu veux de ta maison, et la somme te sera payée sur la caisse royale.
« Chacun des propriétaires consentit volontiers à vendre sa maison, non sans en demander le plus haut prix possible, et Al-Mansúr donna immédiatement l’ordre de les payer ; de plus, il voulut que des maisons convenables fussent bâties pour les expropriés dans un autre quartier de la ville.
« La dernière personne à qui Al-Mansúr s’adressa était une vieille femme qui possédait une maison, dans la cour de laquelle se trouvait un palmier. Cette femme refusa obstinément de la céder à aucun prix, à moins qu’on ne lui donnât une autre maison ayant également une cour plantée d’un palmier. Sur quoi, le khalife donna ses ordres pour que les désirs de la vieille femme fussent accomplis, dût-il lui en coûter un million de dinars. Et en conséquence, une autre maison avec un palmier lui fut achetée à un prix exorbitant. »
On pénètre dans la mosquée de Cordoue par sept portes d’une hauteur médiocre, et dont les sculptures, d’un très-léger relief, sont d’un goût à la fois très-pur et extrêmement sobre. Les murs extérieurs, couronnés de créneaux dentelés, sont malheureusement couverts de ce badigeon jaune clair qu’on ne voit que trop souvent sur les édifices espagnols. Il n’existe pas ici de façade monumentale, ni de grand portail comme dans les églises du moyen âge ; on dirait que l’architecte a voulu exagérer la simplicité de l’extérieur, afin d’augmenter encore l’effet saisissant des magnificences de l’intérieur. Du reste, le plan même de la construction commandait cette simplicité : Théophile Gautier, un grand admirateur de la Mezquita, soutient avec raison que la plus juste idée qu’on puisse donner de cet étrange édifice, c’est de dire qu’il ressemble à une grande esplanade fermée de murs et plantée de colonnes en quinconce. Pour continuer cette comparaison, qui est d’une grande exactitude, ajoutons que cette esplanade a la forme d’un vaste quadrilatère de quatre cent quarante pieds de large sur six cent vingt de long.
Il est impossible de décrire l’impression que l’on éprouve quand on entre pour la première fois dans la mosquée de Cordoue : les innombrables colonnes qui supportent la voûte du temple forment, en s’entrecroisant comme les arbres d’une forêt, de longues perspectives qui changent à mesure qu’on pénètre plus avant dans l’intérieur. Une demi-obscurité, qui règne ici comme dans toutes les églises espagnoles, ajoute un charme de plus à la poésie de ces allées de marbre. Les colonnes, qui montent aujourd’hui à huit cent soixante, étaient bien plus nombreuses autrefois, et dépassaient, assure-t-on, douze cents. Du reste, les anciens auteurs ne sont pas d’accord sur le nombre : ainsi l’un d’eux parle de douze cent quatre-vingt-treize colonnes, un autre de quatorze cent dix-sept, et un troisième de quatorze cent dix-neuf, en y comprenant les cent dix-neuf de la chapelle qui précède le sanctuaire. On a même prétendu que le nombre total était autrefois de deux mille.
Ces colonnes sont faites des marbres les plus précieux, et offrent une collection des plus complètes en ce genre : le rouge et le vert antiques, la brèche de diverses couleurs, le vert d’Égypte, sans parler du granit et du porphyre, y sont représentés par les plus beaux échantillons ; nous y avons également remarqué de très-belles colonnes torses. Suivant la tradition, elles proviennent en grande partie du temple de Janus qui occupait autrefois l’emplacement de la mosquée ; soixante furent apportées de Tarragone et de Séville, cent quinze appartenaient aux monuments de Nîmes et de Narbonne, et cent quarante furent envoyées en présent par l’empereur Léon, qui régnait à Byzance. Un assez grand nombre fut aussi enlevé aux temples de Carthage et de plusieurs autres villes du littoral africain. La plupart de ces colonnes sont surmontées de chapiteaux corinthiens, d’autres sont d’ordre dorique ; beaucoup aussi appartiennent au style arabe. Tous ces chapiteaux étaient dorés autrefois, et on aperçoit encore sur quelques-uns des traces de l’ancienne dorure. Le fils du khalife Hishám les avait fait dorer, assure-t-on, ainsi que les colonnes et une partie des murs. Quant aux bases, très-peu de colonnes en possèdent, soit que les architectes arabes aient craint qu’elles ne fussent une gêne pour la circulation des fidèles, ou que la plupart des colonnes antiques s’étant trouvées trop longues, ils aient pensé qu’il était plus facile de les enterrer au-dessous du niveau du sol que de les scier pour en diminuer la longueur.
Les arcades qui reposent sur les colonnes présentent des formes très-variées : quelques-unes sont à plein-cintre, le plus grand nombre est en fer à cheval ; parmi ces dernières, la plupart sont comme dentelées et ornées de plusieurs lobes, toujours en nombre impair : ainsi nous en avons remarqué qui offraient trois, cinq, sept, neuf et même onze lobes. Ces arcades, presque toujours à jour, sont superposées sur deux rangs de hauteur, ce qui donne à l’ensemble de l’édifice une légèreté merveilleuse. On assure même qu’une partie des chapiteaux porte à faux sur leurs fûts, ce qui rendrait plus extraordinaire encore un tour de force qui n’a pas empêché l’édifice de rester intact depuis plus de dix siècles. Les nefs formées par l’entrecroisement des colonnes sont au