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Tolède au sommet d’un monticule élevé, et dont les maisons blanches se détachent de loin sur le bleu du ciel. On la dit fondée par les Phéniciens, comme Carteia, Cartama, et d’autres villes d’Andalousie placées sur une hauteur ; le mot car signifiant, dit-on, un endroit élevé. À l’époque romaine, Carmo avait beaucoup plus d’importance qu’aujourd’hui. César la considérait comme la ville la plus forte de toute la Bétique ; son terrain était alors, comme aujourd’hui, merveilleusement fertile en blé : nous avons vu des médailles romaines portant sur le revers le mot Carmo, entre deux épis de blés.

Les habitants de Carmona sont très-fiers de leur ville, témoin l’écusson que nous remarquâmes sur la façade de l’Ayuntamiento : il représente une étoile entourée de lions et de châteaux, avec cette modeste devise :

 « Sicut Lucifer lucet in aurora
Sic in Vandalia Carmona. »

Depuis Philippe IV, elle jouit du titre de Cité ; ce n’était auparavant qu’une Villa, mais on raconte que ce prince, lors de sa visite, ayant reçu des habitants un présent de quarante mille ducats, lui octroya en échange le titre de ciudad. Avant de quitter Carmona, nous allâmes visiter l’ancien Alcazar arabe situé près de la Puerta de Marchena ; nous y remarquâmes une salle du temps de la domination musulmane, dont le plafond en bois résineux a conservé quelques traces de l’ancienne dorure. On a, de cet Alcazar, une des plus belles vues du monde : une vallée fertile, peuplée de nombreux villages, s’étendait devant nous, et plus loin nous découvrions plusieurs villes, telles que Marchena, Moron et Osuna, ainsi que la Sierra de Ronda et d’autres montagnes d’Andalousie dont les lignes bleues se confondaient avec l’horizon.

Nous avons parlé des romances populaires qui s’impriment à Carmona ; cette petite ville, où la gravure sur bois a encore quelques progrès à faire, a le privilége d’en fournir toute la province. Les sujets favoris sont toujours des histoires de bandoleros, ce qui s’explique facilement par le voisinage de la Sierra Morena, le pays classique du banditisme.

Quand nous fîmes notre entrée dans la ville d’Ecija, il était une heure après midi, et la température était tellement élevée qu’on l’aurait trouvée excessive au Sénégal même. C’était une de ces chaleurs qui font chanter les cigales, — cantar la chicharra, comme on dit en Andalousie : les rares passants que nous rencontrions rasaient les murs pour profiter de l’étroite bande d’ombre projetée par les maisons ; çà et là quelques lévriers efflanqués tiraient la langue en haletant ; les boutiques étaient soigneusement fermées, comme un dimanche ou un jour d’émeute, car les marchands qui venaient de terminer leur repas, n’auraient pas manqué pour un empire de dormir la siesta.

Ecija passe à juste titre pour la ville la plus chaude d’Andalousie : on a constaté, dit la Guia de Sevilla, qu’au mois de juillet de l’année 1859, époque où la chaleur, il est vrai, fut tout à fait exceptionnelle, le thermomètre centigrade monta jusqu’à cinquante degrés à l’ombre. Ce n’est donc pas sans raison que cette ville a reçu en Espagne le surnom de sartenilla de Andalucia, c’est-à-dire : la poêle à frire de l’Andalousie, surnom qu’elle doit aussi bien à la température exceptionnelle de son climat, qu’à sa situation au fond d’une vallée entourée de collines sablonneuses qui renvoient, comme un immense réflecteur, les rayons d’un soleil ardent.

Il faut croire, du reste, que les habitants d’Ecija sont fort glorieux de jouir d’un soleil aussi africain, puisque les armes de leur ville se composent d’un soleil rayonnant autour duquel se lit cette fière légende empruntée aux Écritures : « Una sola sera llamada la Ciudad del Sol » C’est-à-dire : Une seule ville sera appelée le ville du soleil.

Ecija peut, en outre, tirer vanité de son ancienneté, car elle existait déjà à l’époque grecque ; l’empereur Auguste l’éleva à la dignité de colonie romaine, et Pline assure qu’elle rivalisait en grandeur avec ses deux voisines, Italica et Corduba. Les Arabes, qui la possédèrent depuis l’année 711 jusqu’au milieu du treizième siècle, l’entourèrent d’épaisses murailles et de tours massives dont une partie existe encore. La ville est également fière de ses saints, si l’on croit un in-quarto intitulé : Ecija y sus Santos. Parmi les saints en question, figure san Crispin, qui n’est autre que notre saint Crépin.

Après une siesta de quelques heures au Parador de la Diligencia, nous nous risquâmes à faire une promenade dans la ville : la rue principale, la Calle de los caballeros, nous fit l’effet d’un four à peine refroidi ; c’est une rue aristocratique, et bordée de palais appartenant aux Benameji, aux Peñaflor, et autres familles aux noms aussi sonores. Ces palais sont ornés dans un style churrigueresque tellement exagéré et contourné qu’ils nous rappelèrent un modèle du genre, celui du marquis de Dos Aguas que nous avions remarqué à Valence. C’est en vain qu’on chercherait en Hollande, en Allemagne ou ailleurs un spécimen d’architecture d’un rococo aussi dévergondé.

Pour reposer nos yeux, nous allâmes visiter quelques jardins sur les bords du Génil, car la poétique rivière qui coule au pied de la colline de l’Alhambra arrose aussi les murs d’Ecija ; notre guide nous vanta beaucoup ses eaux : nous crûmes d’abord qu’il allait nous citer quelques romances des poëtes arabes : hélas ! les eaux du Génil n’avaient de mérite à ses yeux qu’au point de vue du dégraissage des laines, la principale industrie du pays, à ce qu’il nous assura.

Après avoir fait le tour de l’inévitable Plaza de Toros, bâtie sur l’emplacement d’un amphithéâtre romain, nous visitâmes quelques églises qui n’ont de remarquable que leurs clochers carrés, leurs anciennes tours arabes antérieures au treizième siècle, et quelques belles colonnes enlevées aux monuments antiques. Près des bords du Génil nous remarquâmes une co-