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Por dó-quier reina el contento,
Por dó-quier reina el placer.

« La naissance de Jésus — Se célèbre en tout lieu : — En tout lieu règne la joie, — En tout lieu règne le plaisir. »

Puis après de nouvelles danses, le chœur reprit et chanta d’autres coplas, dont voici la dernière :

A tan bello dia
No falta alegria :
Ni el dulce turron,
Ni el manzanilla ;
Ni á mi morenilla
Tu fiel corazon.

« À un si beau jour — L’allégresse ne manque pas : — Ni le doux nougat, — Nile vin de Manzanilla — Ni à toi, ma brunette, — Ton cœur fidèle. »

Les castagnettes redoublèrent, et après un pas des plus animés, le chœur reprit :

Celebremos la alegria
De la Madre angelical,
Al mirar llegado el dia
De su parto virginal.

« Célébrons l’allégresse — De la Mère angélique, — En voyant arriver le jour — De son enfantement virginal. »

Après avoir montré que les danses religieuses sont depuis longtemps dans les mœurs espagnoles, revenons aux Seises. C’est le nom qu’on donne à des enfants de chœur de la cathédrale de Séville dont l’emploi principal consiste à figurer comme chanteurs, aussi bien que comme danseurs, dans certaines cérémonies religieuses. On les avait autrefois appelés los seises, — les six, à cause de leur nombre ; bien qu’aujourd’hui ils soient dix, leur ancien nom s’est conservé. Quelquefois aussi on les appelait les Niños cantorcillos, — les petits chanteurs.

La danse des Seises est un souvenir des anciennes representaciones et des danzas qui, au moyen âge, accompagnaient dans les principales ville d’Espagne les processions de la Fête-Dieu. Une bulle du pape Eugène IV, datée de 1439, autorisait les danses des Seises ; il paraît qu’un archevêque de Séville, don Jaime de Palafox, essaya de les supprimer, les trouvant peu compatibles avec le respect dû au Saint-Sacrement. Le chapitre, qui n’était pas du même avis, fréta un navire, et les Seises, accompagnés du Maestro de Capilla, s’embarquèrent pour Rome, afin de montrer au souverain pontife que leurs costumes et leurs danses ne faisaient qu’augmenter l’éclat des solennités religieuses. L’archevêque de Séville avait déjà fait tout son possible pour obtenir la suppression des danzas qui s’exécutaient aux frais de la municipalité, dans les processions de la Fête-Dieu. Plus tard on voulut, dit-on, empêcher les Seises de garder leur chapeau en dansant devant le Santisimo ; il paraît que cette permission aurait été accordée par la cour de Rome, mais elle fut bornée au temps où les costumes seraient conservés sans être aucunement modifiés : c’est pour cela, assure-t-on, qu’ils n’ont subi depuis lors aucun changement.

Les seises appartiennent ordinairement à des familles d’ouvriers on d’artisans : pour être admis, ils doivent avoir moins de dix ans. Les chanoines du chapitre, après avoir entendu chanter les aspirants présentés par le maître de chapelle, choisissent ceux qui montrent la plus belle voix, et les élèvent à la dignité de seises. On leur donne alors un costume ordinaire très-simple, et d’autres plus riches pour les solennités où ils doivent figurer. Il est facile de les reconnaître dans les rues de Séville à leur bonnet rouge et à leur manteau de même couleur orné d’une espèce de rabat bleu ; le reste de leur costume se compose de bas noirs et de souliers à bouffettes ornés de boutons de métal. Le costume de cérémonie des seises est encore exactement celui qu’ils portaient au seizième siècle : le chapeau de forme légèrement conique, a le bord relevé d’un côté, et retenu par un nœud de velours blanc d’où part une touffe de plumes bleues et blanches. Le justaucorps, en soie de même couleur, est serré à la taille par une ceinture et surmonté d’une écharpe nouée sur le côté ; un petit manteau, attaché aux épaules, tombe gracieusement jusqu’à mi-jambes. Mais la partie du costume qui nous parut surtout caractéristique, c’est la golilla, espèce de fraise de guipure empesée et tuyautée qui entoure le cou, de manière que la tête, suivant l’expression d’un ancien auteur français, « ressemble au chef de saint Jean-Baptiste en un plat. » Des manchettes de dentelles, un haut de chausse ou calzoncillo à crevés, des bas de soie bleue et des souliers blancs ornés de bouffettes complètent le costume dont Doré fit un croquis lorsque nous les vîmes dans la cathédrale de Séville, le jour de l’octave de la Concepcion. Pour les autres cérémonies, notamment pour celles de la Fête-Dieu, ils ont un costume différent, où le bleu, nous a t-on dit, est remplacé par le rouge.

La danse des seises n’attire pas moins de curieux à Séville que les cérémonies de la Semaine Sainte, et l’immense cathédrale est trop étroite les jours où ils doivent figurer dans une funcion. Fort heureusement un ami nous avait réservé des places ; mais pour y arriver nous eûmes toutes les peines du monde à nous frayer un passage à travers une foule énorme échelonnée sur les gradas ou escaliers qui entourent l’église. Nous aperçûmes enfin les dix seises placés sur deux rangs devant le maître-autel ; bientôt, après avoir salué le Saint-Sacrement, ils se mirent à danser lentement en faisant résonner leurs castagnettes d’ivoire ; puis ils entonnèrent ce villancico, fort ancien sans doute, à la louange de la Vierge, fille, mère et épouse, plus pure et plus belle que l’aurore et que l’astre du jour :

Salve, oh Virgen ! mas pura y mas bella
Que la aurora y que el astro del dia ;
Hija, Madre y esposa, oh Maria !
Y la puerta de Dios oriental.

Après quelques instants de repos les niños cantorcillos chantèrent encore d’autres coplas, toujours en