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composait de quatre troupes ou quadrilles représentant les quatre parties du monde. Le quadrille de l’Amérique était le plus intéressant de tous : une des danses de cette fête obtint, à ce qu’il paraît, un succès particulier : elle était exécutée par des enfants de huit à dix ans, déguisés en singes, en guenons et en perroquets.

C’était autrefois la coutume en Galice de danser, le jour de la Fête-Dieu, un pas religieux qu’on appelait la Pela : un jeune garçon, très-richement habillé, était perché sur les épaules d’un homme de haute taille, qui dansait en le portant en tête de la procession. Au dix-septième siècle, le jour de la fête de plusieurs saints, on donnait encore dans certaines provinces de l’Espagne, notamment dans la Catalogne et le Roussillon, des représentations de mystères accompagnées de danses religieuses. Des cérémonies de ce genre avaient aussi lieu en France, si l’on en croit le Père Ménestrier, qui assure en avoir vu de son temps dans quelques églises. Le jour de Pâques notamment, les chanoines et les enfants de chœur se prenaient par la main et se mettaient à danser en chantant des hymnes de réjouissance, quelquefois aussi, les prêtres et le peuple dansaient en rond dans le chœur.

Un voyageur qui parcourait l’Espagne au commencement de ce siècle, raconte qu’il a vu jouer à Séville Le Légataire universel de Regnard, le jour de l’Assomption, et il cite textuellement l’affiche qui était ainsi conçue : « À l’impératrice du Ciel, mère du Verbe éternel, etc., etc… C’est à son profit et pour l’augmentation de son culte que les comédiens de cette ville joueront ce soir une très-plaisante comédie, intitulée le Légataire universel… Le célèbre Romano dansera le Fandango, et la salle sera brillamment éclairée avec des arañas (lustres). »

Les Villancicos, poésies populaires destinées à accompagner les danses religieuses, sont très-anciens en Espagne. Un poëte espagnol de la fin du quinzième siècle, Lucas Fernandez, publia des Villancicos para se salir cantando y vailando, c’est-à-dire pour aller, chantant et dansant : le Christ, la Sainte Vierge, les Anges, les Bergers, jouent le principal rôle dans ces vers pleins de naïveté. Il y avait en outre des Villancicos burlescos, où les chanteurs s’habillaient en bergers ou en villageois, notamment aux fêtes de Noël.

Nous avons souvent entendu chanter des Villancicos sur des airs de Seguidillas ; par exemple celui-ci :

Este Rey niño Jesus
De los Cielos baja acá
Siendo su real comitiva
Maria y Jose y no mas ;

    Por cuna un pesebre
Por templo un portal
Eso es lo que encuentra
Su Real Magestad

« Ce Roi, l’enfant Jésus, — Est descendu du Ciel, — Ayant pour royale escorte — Marie et Joseph seulement ;

« Pour berceau une mangeoire — Pour temple une étable : — Voilà ce qu’a trouvé — Sa Royale Majesté. »

Ces vers naïfs nous reportent à plusieurs siècles en arrière, en plein moyen âge ; on croirait entendre le prologue d’un mystère du quinzième siècle. Ces souvenirs du temps passé se représentent souvent en Espagne ; on sent qu’on est dans un pays attaché par-dessus tout à ses vieilles traditions religieuses.

Un autre couplet de Seguidilla met en scène les Gitanos, qu’on ne s’attendait guère à voir figurer à la naissance du Christ :

En el portal de Belen
Gitanitos han entrado,
Y al niño recien nacido
Los pañales le han quitado.

    Picaros Gitanos,
Caras de aceituñas,
No han dejado al niño
Ropa ninguna.

« Dans l’étable de Bethléem — Sont entrés de petits Gitanos. — Et à l’enfant nouveau né, — Ils ont enlevé ses draps. »

« Fripons de Gitanos ! Faces d’olives (faces verdâtres), — Ils n’ont laissé à l’enfant — Aucun vêtement. »

C’est là un couplet à la fois religieux et populaire puisqu’il associe au grand souvenir de la Nativité la haine et la méfiance des Espagnols à l’égard des Bohémiens. Nous avons déjà eu l’occasion d’observer que cette race, conservée assez pure en Espagne, a le privilége de fournir le personnel à peu près complet des maquignons, des tondeurs de mules et des filous. Ils jouissent même d’une véritable réputation comme voleurs à la tire, et ne seraient pas désavoués par leurs aïeux de la Cour des Miracles. Revenons aux Villancicos.

Aujourd’hui encore, les Villancicos de Navidad sont en usage dans toute l’Espagne pendant la Noche buena, la bonne nuit, comme on appelle la nuit de Noël. La veille de la naissance du Christ, Vijilia de Nadal, on se livre depuis la Catalogne jusqu’à l’Andalousie, depuis la Galice jusqu’à l’Estrémadure, à la chorégraphie la plus variée, accompagnée de refrains qui ne sont pas toujours canoniques. Nous nous rappelons une certaine Jota, que nous avons entendue à Saragosse, et où les louanges du Rédempteur et de la Mère des anges revenaient alternativement avec le turron (nougat), et le vin de Manzanilla. C’était la nuit de Noël ; les rues de la ville étaient pleines de gens du peuple qui chantaient et dansaient joyeusement ; ici c’était un orchestre composé d’instruments de cuivre ; plus loin les guitares, les castagnettes et les tambours de basque en faisaient tous les frais. C’est avec un accompagnement de ce genre que nous entendîmes chanter la Jota en question, intitulé la Navidad del Señor. Un soliste entonna d’abord ce couplet :

De Jesus el nacimiento
Se celebra por dó-quier :