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VOYAGE EN ESPAGNE,


PAR MM. GUSTAVE DORÉ ET CH. DAVILLIER[1].


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SÉVILLE.



1862. — DESSINS INÉDITS DE GUSTAVE DORÉ. — TEXTE INÉDIT DE M. CH. DAVILLIER.


Les danses religieuses de l’Espagne. — L’évêque de Valence et le cardinal Ximénès. — Les Farsas santas y piadosas. — Philippe II et les danses au Concile de Trente. — Les ballets ambulatoires. — La Pela en Galice. — Les Villancicos de Navidad. — Une Jota la nuit de Noël à Saragosse. — Les Seises de La cathédrale de Séville. — Leur voyage à Rome. — Un costume du seizième siècle. — La danse devant le Saint-Sacrement. — Le chant des Seises.

Après avoir passé en revue les danses populaires des diverses provinces de l’Espagne, il nous reste à dire quelques mots des danses religieuses en usage dans certaines provinces, et particulièrement à Séville. Les étrangers qui ont séjourné quelque temps dans la capitale de l’Andalousie n’ont pas manqué d’entendre parler des Seises de la cathédrale, ou de les y voir exécuter leurs pas, s’ils ont assisté aux fêtes de l’Octave du Corpus ou de la Conception de la Sainte-Vierge.

Avant de parler des Seises, disons que l’usage des danses religieuses est très-ancien en Espagne : dans un pays si riche en théologiens et en casuistes, les danses de ce genre ne pouvaient manquer de défenseurs. Aussi les uns, remontant aux temps bibliques, citent Marie, la fille d’Aaron et la fille de Jephté, sans oublier, bien entendu, le roi David dansant devant l’Arche. D’autres rappellent ce passage du Lévitique, qui ordonne aux Hébreux de prendre des palmes vertes et de danser dans le sanctuaire, en signe de réjouissance. Viennent ensuite plusieurs Pères de l’Église, notamment saint Grégoire de Nazianze, qui permit à l’empereur Julien les danses religieuses à l’exclusion de toutes les autres ; puis saint Basile, qui assure qu’il n’est pas de plus grand bonheur sur la terre que d’imiter la danse céleste des anges (tripudium angelorum).

Saint Thomas de Villeneuve, évêque de Valence, rapporte que de son temps on dansait devant le Saint-Sacrement dans les églises de Séville, de Tolède, de Yepes et de Valence ; et il approuve cet usage, quoique le pape Zacharie, plusieurs siècles avant, eût défendu les danses dans Les églises, les cimetières et les processions. Au seizième siècle, le cardinal Ximénès rétablit dans la cathédrale de Tolède l’ancien usage des messes des Mozarabes, pendant lesquelles on exécutait des danses dans le chœur et dans la nef.

Le P. Mariana blâme les compositions dévotes mêlées d’entremeses inconvenants et de danses déshonnêtes, introduites à son époque dans les églises ; ces espèces de représentations, qu’on appelait farsas santas y piadosas, des farces saintes et pieuses, s’étaient introduites, ajoute le célèbre historien, jusque dans les couvents de religieuses ; c’est pourquoi il demande que ces danses soient préalablement soumises à la consulte ecclésiastique.

« En 1562, raconte Castil Blaze, les Pères, assemblés en concile dans la ville de Trente, sous la présidence du cardinal Hercule de Mantoue, après avoir invoqué l’Éternel et demandé les lumières du Saint-Esprit pour être suffisamment éclairés sur les questions importantes qu’ils allaient résoudre, convinrent, par une délibération authentique et solennelle, dûment enregistrée et signée, que ce qu’ils pouvaient faire de mieux avant de se mettre à l’ouvrage, était de donner une fête galante aux dames, digne en tout de la magnificence des Princes de l’Église. Philippe II, roi d’Espagne, assistait au concile, et la fête lui fut dédiée. Les dames de Trente et des environs, les aimables Italiennes que l’ouverture du concile avait amenées, y parurent avec le plus brillant éclat. Le souper fut délicat et somptueux, le bal enchanteur ; la fête mérita les applaudissements de Philippe II. Ce prince y dansa, de même que les cardinaux, les prélats, les docteurs en théologie que le concile rassemblait. Le divertissement se prolongea très-avant dans la nuit, et la gaieté la plus aimable vint l’embellir. Le cardinal Pallavicini, historien du concile de Trente, ne donne pas de plus grands détails ; il ne dit point si les Pères de l’Église dansèrent la gaillarde ou la gavotte, la courante ou la bourrée. Ô dom Calmet ! dom Calmet, pourquoi faut-il que tu n’aies point assisté à cette fête ? »

Des ballets ambulatoires furent donnés autrefois en Portugal, à l’occasion de la canonisation de saint Charles Borromée. Des fêtes du même genre furent aussi célébrées en Espagne en honneur de saint Ignace de Loyola, et offrirent un très-curieux mélange du sacré et du profane. Un auteur raconte avec beaucoup de détails les représentations qui eurent lieu, et dans lesquelles figurèrent les principaux événements de la guerre de Troie, sans oublier le fameux cheval de bois. On vit ensuite paraître les peuples des diverses nations, vêtus des costumes de leurs pays, et ils se mirent à exécuter un ballet très-agréable à voir. Ce ballet se

  1. Suite. — Voy. t. VI, p. 289, 305, 321, 337 ; t. VIII, p. 353 ; t. X, p. 1, 17, 353, 369, 385 ; t. XII, p. 353, 369, 385, 405, 417 ; t. XIV, p. 353, 369, 385, 401 ; t. XVI, p. 305.