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La Gallegada ou danse des Gallegos est très-connue et fort bien dansée à Madrid ; cependant, d’après le proverbe, il faut aller dans la Galice même pour la voir exécuter dans la perfection :

En Galicia Gallegada
Perfectamente bailada.

Il y a quelques années, une gracieuse bolera, la Concepcion Ruiz, vint à Paris avec une troupe espagnole, et on se souvient encore du succès qu’elle obtenait tous les soirs en dansant sur un de nos théâtres le charmant pas de la Gallegada : l’orchestre débutait par quelques mesures lentes, tandis que la Concepcion et son partenaire, se tenant dos à dos, semblaient vouloir se bouder ; cependant la mesure devenait de plus en plus vive, et les pieds des danseurs commençaient à s’agiter peu à peu ; enfin, comme frappés d’une étincelle électrique, ils s’élançaient tous deux en faisant résonner leurs castagnettes, aussitôt que se faisait entendre l’air plein d’entrain de la Gallegada.


La danse des Provincias Vascongadas. — Le Tabourin de Basque. — L’Orchésographie de Thoinot Arbeau. — Le Zorcico. — La Dantza vizcaina. — Le livre Contra bailes du Révérend Père Palacios. — Le pañuelo et le Musico Tamborilero. — Jovellanos et les divertissements publics de l’Espagne. — Livres sur la danse en langue basque. — La Camargo et le Grand Inquisiteur.

Le goût de la danse a été de tout temps très-prononcé dans les provinces basques ; dès le seizième siècle, l’instrument favori des Vascongados était connu en France sous le nom de Tabourin de Basque ; leur danse, telle qu’elle est encore aujourd’hui en usage, est décrite dans un curieux ouvrage imprimé à Langres, en 1589, sous le titre d’Orchésographie, traicté en forme de dialogue, par lequel toutes personnes peuvent facilement apprendre et practiquer l’honneste exercice des danses ; l’auteur, Jehan Tabourot, qui cachait son nom sous l’anagramme de Thoinot Arbeau, était un brave chanoine de Langres, âgé de 69 ans, et que l’âge n’empêchait pas d’être fort indulgent ; en effet, il rappelle à ses lecteurs, en citant ce passage de l’Ecclésiaste : Tempus plangendi, tempus saltandi, que s’il y a un temps pour pleurer, la danse doit aussi avoir son tour. Après avoir conté comment il a vu exécuter la dance des Morisques, « par mesure binaire, avec tappements de pieds et tappements de talons, » il décrit aussi celle des « Basques et Béarnois, et leur Tabourin de Basque, qu’ils tiennent suspendu à la main gauche, en le touchant des doigts de la main droicte ; le bois est seulement creux de demy pied, et les peaux d’un petit pied de diamètre, et est environné de sonnettes et de petites pièces de cuyvre rendant un bruict aggréable. »

Outre le pandero ou tambour de Basque, les Vascongados dansent aussi au son de la gaita, comme les Asturiens et les Galiciens, et avec accompagnement du tamboril et de la flûte ; leur principale danse, à laquelle ils donnent le nom de zorcico, consiste en deux parties distinctes : elle commence par la danza real ou danse royale, et se termine par un pas qu’on appelle el arrinarrin ; ces danses sont encore aujourd’hui, malgré les guerres fratricides qui ont longtemps ensanglanté le pays, telles que les décrit un voyageur du siècle dernier :

« J’ai été témoin des danses de Vitoria, sous les arbres de la place. L’alcalde mayor donne le ton ; deux tambours ont commencé par battre l’appel ; les filles et les jeunes gens de la ville se sont rassemblés : ces premières se tenaient toutes par des mouchoirs et les hommes en faisaient de même ; ils allaient ainsi, chaque bande à part, décrivant diverses figures autour des arbres et sur le gazon.

« Après un quart d’heure de sauts et de tournoiements, toujours au son du tambour et pendant que les jeunes gens choisissent chacun de l’œil leur demoiselle, ils envoient deux députés à la file que forment les femmes, pour aller chercher tour à tour les premières qui sont choisies. Pendant cet intervalle, les danses vont toujours, et peu à peu les deux bandes n’en forment plus qu’une. Alors les circuits qu’elle forme, les temps, les pas et les figures sont plus variés et précipités ; mais à un certain signal que donne le tambour, les danseurs se séparent, et bientôt, à l’air du fandango, toute la prairie paraît en mouvement. »

Les danses basques, telles que nous les avons vues à Vitoria, à Azpeitia, à Balmaseda et dans d’autres endroits, sont d’une innocence parfaite, surtout si on les compare à celles de l’Andalousie ; aussi n’est-ce pas sans étonnement que nous avons lu un livre publié par le Révérend Père Palacios Contra bailes, — contre les danses[1]. Ce curieux in-quarto, où les Pères de l’Église et les théologiens les plus savants sont cités à chaque page à propos des danses basques, avait pour but de faire complétement disparaître ce divertissement national. La danse, dit l’auteur, est un cercle dont le centre est le Démon ; c’est le domaine du Diable, une école de vices, la perdition des femmes, la douleur des anges, l’enchantement de l’enfer, la corruption des mœurs, la perte de la chasteté ; et, ajoute-t-il en citant Pétrarque, le danger n’existe pas tant dans le plaisir du moment que dans l’espoir de celui à venir ; c’est le prélude de la déshonnêteté. Le Père Palacios réprouve également ce qu’il appelle los bailes regulares de las plazas, c’est-à-dire les danses populaires qui ont lieu en public, et les bailes de Saraos, ou les réunions particulières des personnes de la classe élevée. C’est en vain qu’on lui propose comme transaction d’abolir l’usage de se tenir par la main, et d’isoler les danseurs des deux sexes au moyen d’un pañuelo ou mouchoir dont chaque personne tiendra un bout ; c’est en vain qu’on lui propose aussi de charger le Musico Tamborilero, de veiller à ce qu’il ne se passe rien de répréhensible : le sévère ennemi de la danza viscaina répond qu’on ne trouvera ni assez d’alguaciles (agents de police) pour

  1. Ce livre, imprimé à Pampelune en 1791, a peut-être été inspiré par un ouvrage français beaucoup plus ancien, publié par Guillaume Paradin de Cuyseaulx sous le titre de : Blason des danses, où se voyent les malheurs et ruines venant des danses, dont jamais homme ne revint plus sage, ni femme plus pudique. (Beaujeu, 1556, in-8o.)