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Y que aire en cada empuge !…
Y que gloria de remango
A la mas leve cabriola !

« Quelle élégance, et quelle agilité, — Quand elle danse la Jota ou le Fandango ! — Quelle grâce dans chacun de ses mouvements ! — Et comme elle sait agiter sa jupe — Tout en bondissant légèrement ! »

Madrid a bien quelques bals publics dans le genre de ceux de Paris, mais il n’en faut parler que pour mémoire ; dans ces bals, dont le plus en vogue est connu sous le nom de Salon de Capellanes, on ne danse que des valses, des polkas et autres pas étrangers.

La danse populaire de la Castille vieille, connue dans toute l’Espagne sous le nom de las Habas verdes, — les fèves vertes, — est une des plus anciennes de celles en usage aujourd’hui. On l’appelle ainsi à cause de l’estribillo (refrain) d’une espèce de villanesca, ou chanson de paysans, destinée à accompagner cette danse, et qui signifie littéralement : Qui prend mes fèves vertes, qui les prend ? On en donne à qui en veut, et on ne les mesure pas :

Que toma las habas verdes,
Que tomalas alla ?
Dase las á quien quisiere
Que nada se meda.

Les habas verdes se dansent encore dans les campagnes de l’Estramadure et dans la province de Salamanque, où beaucoup d’anciens usages se sont conservés.

La danse de la Tarasque, si populaire dans le midi de la France, et qui remonte chez nous au moyen âge, n’est pas moins ancienne en Espagne, où elle est encore en usage. Quevedo en fait mention, et Cervanits, dans son Viage al Parnaso, dépeint le monstre avec son ventre énorme et son cou démesuré, En 1837, dans les fêtes données pour célébrer la promulgation de la fameuse Constitucion, ou vit figurer la danse de la Tarasca ; l’animal fantastique, représenté sous la forme d’un dragon, ouvrait une gueule énorme, et des hommes cachés à l’intérieur faisaient claquer ses dents avec un grand bruit. Sur le dos de la Tarasca était assis un mannequin habillé en femme, auquel le peuple donnait, on ne sait trop à quel propos, le nom d’Ana Bolena.

Ainsi que Barcelone, Tolède avait aussi ses Gigantones, géants de huit à dix mètres de haut, qui figuraient, il n’y a pas longtemps encore, en tête des processions de la Fête-Dieu. Cette coutume, qui entraînait de nombreux abus, a été abolie, mais nous avons vu à Tolède les Gigantones relégués, en compagnie de la Tarasca, dans une des salles basses du cloître de la cathédrale.

La danse asturienne appelée la Danza prima est très-ancienne, comme l’indique son nom ; elle remonte à l’époque de la domination des rois goths ; c’est du moins ce qu’affirme un auteur asturien. On voit souvent cette danse représentée dans les gravures grossières qui se vendent par les rues, avec cette naïve légende :

Gran circo los Asturianos
Forman y cantan ufanos :

« Les Asturiens forment un grand rond et chantent joyeusement. »

En effet la Danza prima, telle que nous l’avons vue à Oviedo et dans d’autres endroits des Asturies et de la Galice, se compose de grands cercles formés par des jeunes gens et des jeunes filles qui se tiennent par la main : chacun des danseurs entonnait à son tour une cantinela de quelques vers, et tous les danseurs lui répondaient en chantant en chœur un estribillo ou refrain. Ce sont ces danses qu’on appelait autrefois bailes en corro, ou danses en rond.

Les Galiciens ne sont pas moins amateurs de danse que les Asturiens : la Muyñeira nationale, accompagnée par la gaita, espèce de cornemuse particulière au pays, transporte de joie ces Auvergnats de l’Espagne ; les Gallegos ont la réputation méritée d’être plus robustes qu’agiles ; mais leur instrument favori n’a pas plus tôt commencé les premières notes de l’air de la Muyñeira, qu’ils se sentent aussi vifs et aussi lestes que les Valenciens et les Andalous.

Le Gaitero gallego, le joueur de cornemuse galicien, est un type bien connu en Espagne ; ce modeste instrumentiste joue un rôle très-important dans toutes les réjouissances publiques et privées de la Galice ; sans lui, pas de noce, pas de fête patronale, de festa do Patron, comme disent les Gallegos. Cet artiste populaire exécute au besoin une Jota aragonesa ou des Seguidillas manchegas, mais il excelle surtout à jouer la Muyñeira. Ce nom vient, dit-on, du mot moiño ou muiño, qui signifie en patois galicien molino (moulin), en sorte qu’il équivaut à l’espagnol molinera, ou la danse de la meunière.

Pour bien connaître les mœurs et les danses des paysans de la Galice, il faut assister à la fête annuelle du Magosto, qui a lieu tous les ans le jour de la Toussaint, à l’occasion de la récolte des châtaignes : ce jour-là, ils se parent de leur costume des dimanches pour aller faire honneur à des repas champêtres préparés sur l’herbe, et qui, bien que moins somptueux que ceux des noces de Camacho, sont dévorés avec un vigoureux appétit, après quelques heures du fatigant exercice de la Muyñeira.

Comme l’a dit le poëte Gongora dans ses Soledades :

La gaita al baile solicita el gusto,

« La cornemuse entraîne au plaisir de la danse. »

Dans les noces villageoises, l’instrument national, accompagné des inévitables castañuelas, du pandero et du tamboril, résonne encore plus longtemps que dans les fêtes du Magosto ; car la danse, la baila, comme disent les Galiciens, qui commence immédiatement après le repas, se prolonge presque toujours très-avant dans la nuit.