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J’entendis alors un miaulement vague et assez lointain, dont mon imagination grossissait peut-être le son.

« Où est-elle ? demandai-je.

— Loin encore, mais elle va venir. Apprête ton fusil.

— Eh bien ! regarde de son côté, et si elle s’approche du nôtre, tu m’avertiras. Bonsoir. »

Et je me disais, en moi-même : « Il s’imagine vraiment, je crois, que je vais aller chercher à tâtons l’animal qui l’effraye. Ce serait très-intéressant peut-être pour un dompteur, ou pour ceux que les lauriers cynégétiques empêchent de dormir. Je ne les imiterai pas, je veux prendre le repos dont j’ai grand besoin. » Et sur ce monologue philosophique, je me rendormis. Mais la bête ne vint pas, et on n’interrompit point mon sommeil. Voilà tout ce que ce voyage me permet d’offrir de panthère au lecteur. Cependant, je suis persuadé qu’il y en a près de Dellys, dont je n’étais qu’à cinq lieues, et qu’on peut les y aller chasser. Ceux qui seraient tentés de le faire, ou qui simplement voudraient avoir sur la felis pardus de l’Algérie, plus de renseignements que je ne puis leur en donner de visu, n’ont qu’à consulter le livre de mon ami Bombonnel, le tueur de panthères. Ils y trouveront plaisir et profit.


Tourneur kabyle. — Dessin de Stop d’après un croquis du commandant Duhousset.

Décidé à partir de manière à profiter du clair de lune, j’éveillai mon monde un peu avant trois heures, et nous nous mîmes immédiatement en marche. Il nous fallut traverser d’abord un fouillis très-serré, qui devait offrir un abri propice aux bêtes fauves. Un terrain un peu plus praticable, au grand soulagement de nos mulets, nous mena ensuite dans des champs de bechna. Cette plante est une sorte de millet cultivée pour sa fécule, et dont les oiseaux sont très-friands ; aussi les Arabes sont-ils obligés d’installer, avant la moisson, dans les champs de cette céréale des guetteurs chargés d’éloigner les effrontés parasites, à grands renforts de cris et de frondes[1]. Ces gardiens se tiennent sur une petite plate-forme, de deux mètres d’élévation, légèrement construite en roseaux. Sur la dernière que je rencontrai, je ne vis qu’une flûte et une gourde liées ensemble. Certes, devant ce redoutable appareil, les oiseaux n’avaient qu’à se bien tenir.

À sept heures, j’entrais à Dellys.

Duhousset.



  1. Ce système de surveillance pour les moissons est en usage dans la plupart des pays nègres. Les frères Lander l’ont retrouvé sur les bords du Niger, au centre de l’Afrique.