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bonne voie de cuire avec de la graisse dans l’assiette de fer battu qui forme en voyage toute ma batterie de cuisine, et comme, par-dessus tout, je comptais me mettre en route à deux heures du matin, je ne me dérangeai pas davantage ; seulement je coulai une balle dans chaque canon de mon fusil ; cela produisit un excellent effet sur la galerie, ainsi que l’ordre de rapprocher autant que possible nos quatre mulets des maisons.

Mon soldat, qui avait eu lieu d’exercer assez convenablement son talent culinaire pendant le voyage, se désolait à la pensée de la maigre pitance qu’il avait à m’offrir pour dîner. Je jugeai à propos de lui montrer combien j’y tenais peu et, pour distraire son attention, je lui fis des compliments sur la manière intelligente et active dont il savait s’acquitter de ses fonctions en confectionnant pour plusieurs personnes, et souvent en moins d’une heure, des plats fort présentables, malgré toutes les difficultés d’une cuisine faite à la hâte en plein vent ; j’ajoutai qu’on voyait qu’il en avait une certaine habitude. — Il me répondit que c’était La première fois qu’il se trouvait livré à lui-même pour ce genre d’emploi. — « Alors, lui dis-je, vous avez servi comme valet de chambre dans quelque bonne maison, car vous vous entendez aussi très-bien aux soins de l’intérieur. Que faisiez-vous avant d’être soldat ?


Réception dans la maison d’un mort. — Dessin de Stop d’après le commandant Duhousset.

— J’étais, me répondit-il, cocher de l’omnibus de la barrière du Maine au chemin de fer du Nord depuis trois ans ; après avoir été préalablement pendant trois autres années valet d’écurie dans la même administration. » — Il m’avait probablement voituré bien des fois à Paris, sans se douter qu’un jour il ravauderait mes chaussettes dans un bivouac quelconque de la Kabylie.

Je mangeai deux de mes œufs, lui abandonnai le reste, et me jetai tout habillé sur ma couchette. De son côté, étendant une couverture à terre, il s’établit en travers de l’ouverture de la tente. Quant au spahis, je n’en étais nullement inquiet : il avait trouvé moyen de se faire faire du couscoussou. Du reste, je devais être bien gardé ; des masses blanches aux formes indécises, mais entrevues, à intervalles égaux, dans le cadre de ma porte, me l’indiquaient suffisamment.

Les chacals et les chiens firent bientôt un sabbat d’enfer, mais, grâce à l’habitude des derniers jours, je n’en tins aucun compte, et je m’assoupis aussi profondément qu’au sein du plus profond silence. Vers une heure du matin, je fus réveillé par le bruit que faisait un être quelconque en grattant les parois de ma tente. Je toussai, ce qui est toujours une contenance, et me mis sur mon géant.

« Commandant ! me dit le spahis, écoute, c’est la bête. »