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On opère la caprification au moins une fois par an. Quand le dokhar est abondant, il convient de la répéter plusieurs fois de suite à peu d’intervalle, et il est de la plus haute importance que cette opération soit faite en temps opportun, à l’automne ou au printemps, si l’on ne veut voir la récolte gravement compromise et en partie perdue.

Beaucoup de gens sceptiques, par ignorance ou par système, ne voient dans la caprification que matière à plaisanterie et la traitent de préjugé, d’absurdité. Aussi beaucoup d’Européens du Fort-Napoléon ont-ils eu plus d’une fois à déplorer leur aveuglement par la perte de leur récolte, quand les Kabyles, leurs voisins, en faisaient de très-abondantes. N’est-ce pas là un fait concluant et patent ? Pourquoi nier la fécondation artificielle du figuier, quand on ne fait pas difficulté d’admettre celle du palmier-dattier ? Nul n’ignore que les habitants des Ksours ne l’abandonnent pas aux caprices du vent.

Aristote, Théophraste et Pline ont parlé de la caprification comme d’une opération essentielle à la fructification du figuier ; Tournefort a appuyé leurs récits de son témoignage. Il affirme qu’un figuier caprifié donne jusqu’à deux cent quatre-vingts livres de fruits, tandis qu’on en obtient à peine vingt-cinq s’il ne l’est pas.


Travaux des femmes : Meules à moudre le blé. — Dessin de Stop d’après un croquis du commandant Duhousset.

Le dokhar ne vient pas partout. Il est extrêmement rare sur les bords de la mer et jusqu’à plusieurs milles dans l’intérieur du littoral ; s’il en existe quelques pieds dans cette zone, ils sont de qualité inférieure.

Les cercles qui en sont privés s’approvisionnent, coûte que coûte, sur les lieux de production les plus renommés : tels sont ceux de Bougie, de Sétif et autres qui se rendent annuellement par convois de trente, quarante et soixante mulets, à Djema-Sahridj, aux Ouardhia, aux Beni-Aissi, dans les tribus Maatka, Bétrouna. Ce commerce donne lieu à un mouvement d’affaires de plusieurs milliers de francs par an.

Une règle, généralement suivie aujourd’hui dans les villages qui possèdent du dokhar, est que nul, sous peine de cinquante francs d’amende, ne peut en vendre à l’étranger, même à un allié, avant que les jardins de la localité ne soient abondamment pourvus du précieux préservatif.

On sait qu’avant notre domination les tribus kabyles étaient sans cesse en hostilité les unes contre les autres ; la vente du dokhar était alors suspendue et même interdite de tribu à tribu. Comme la figue est l’aliment principal et indispensable des populations, cette mesure prohibitive était le plus sûr moyen d’affamer l’ennemi ou au moins de lui causer un grave préjudice. Il n’est donc pas inadmissible que, plusieurs fois, des tribus en soient venues aux mains pour se procurer, par la force