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dre une crête excessivement étroite. Nous avions au nord la mer, au sud le Tamgout et les contre-forts au sein desquels sont les sources, qui versent au fond de petits ravins dont les dernières dentelures se perdent à la mer leurs filets blanchâtres, très-rares à l’époque de notre passage.

Du temps des Romains, la crête que nous examinions servait d’appui à un aqueduc : un grand nombre de pierres, s’enchâssant les unes dans les autres par des gorges sculptées, témoignent encore de ce gigantesque travail, qu’on peut suivre pendant plusieurs lieues. C’est, à mon avis, la plus curieuse des choses qu’on trouve à Zeffoun. Un espace assez étendu, est semé de ces débris, que dominent çà et là des pans de murailles encore debout. On y voit aussi un grand édifice en briques, qu’on croit avoir été un bain.

Le village Kabyle occupe le point le plus élevé des ruines (six cents mètres). C’est probablement l’emplacement de la citadelle. La position militaire était superbe, ayant la mer au nord, à l’est et à l’ouest, et, pour seul endroit accessible, la crête étroite dont nous avons parlé. La défense avait surtout en vue l’intérieur du pays ; la montagne est très-escarpée de ce côté-là, ce qui rend le sommet facile à défendre. Les différents plateaux qui descendent à la mer, étaient couverts, sur un espace de deux mille mètres, de constructions qui les reliaient entre eux ; le port, dont l’importance est constatée par des restes de murs et de mosaïques, venait ensuite. Nous visitâmes ces vestiges, mais je dois le dire, nous nous attendions à voir des débris plus intéressants, qu’amèneraient sans nul doute, des fouilles bien dirigées et qu’il serait très-facile de faire.

Il était midi, nous marchions depuis cinq heures du matin ; cette course au milieu des décombres nous fit songer au déjeuner. La chaleur était torride et nous n’avions pas d’eau. À l’ouest on voyait tout au bord de la mer, un petit massif d’arbres ; puis, à plus d’un kilomètre au-dessous de nous, une maison à laquelle on ne pouvait arriver que par un sentier à chèvres. Nous y descendîmes sur nos mules, enfourchées de nouveau, et trouvâmes l’ombre touffue vers laquelle nous aspirions, ainsi que l’eau dont nous avions si grand besoin. Enfin, vers une heure, notre pauvre diffa nous rejoignit. Le trajet qu’elle venait de faire équivalait bien à deux lieues, tant elle avait franchi d’accidents de terrain à notre suite.

Nous étions en ce moment nonchalamment étendus dans ce qu’on appelle le bois sacré : c’était vraiment la mise en scène de la Norma. Les Arabes drapés, qui descendaient en zigzag des escarpements semés de ruines, avaient l’air d’une procession de druides. Mais l’arrivée du cuisinier et des cantines vint apporter à ce spectacle une diversion dont nous appréciâmes vivement tout le mérite. Après avoir goûté ensuite le charme d’un repos que nous avions si bien gagné, nous nous remîmes en route, d’abord en longeant le bord de la mer, puis en remontant sur les hauteurs, pour gagner le village d’Achouba. Le soleil était déjà couché lorsque nous nous y établîmes pour la nuit.

Pendant cette longue marche, j’avais fait quelques observations sur les diverses essences d’arbres qui se présentaient à nous : des lentisques partout, des chênes-liéges dans tous les espaces boisés, des lauriers-roses bordant les plus petits cours d’eau ou formant d’immenses champs fleuris d’un aspect féerique ; puis des cactus, dont les robustes raquettes, couvertes de fruits, semblent offrir appui et protection aux lianes et aux ronces qui croisent ces tiges rigides et viennent s’enchevêtrer avec leurs pousses les plus élevées ; enfin des caroubiers, qui, abondant surtout dans les environs de Bougie, diaprent de leurs gousses noirâtres le vert éclatant de leur feuillage.

Cette variété de la végétation arborescente est un des plus grands charmes de ce pays, dont elle change à chaque pas l’aspect. Elle jette sur les crêtes froides le chêne et le frêne : elle pare les coteaux non-seulement de ces vigoureux cactus et de ces gracieux lauriers-roses que j’admirais en ce moment, mais encore de buissons de myrtes, de gigantesques aloès, de nombreux figuiers et de cette vigne féconde qui se retrouve dans les régions inférieures grimpant autour de l’olivier. Les plaines sont couvertes d’abondantes céréales, ou tapissées de riches pâturages, et il n’est pas rare de voir, même sur les versants les plus inclinés, croître le blé, l’orge et le millet.

Pour résumer mes observations au sujet de ces diverses essences de bois, je dirai que dans les environs de Tamgout, chez les Ghoubri et les Hidger, c’est-à-dire en montant pour aller rejoindre le Djurjura, vers Afkadou, on rencontre le chêne vert, le chêne zân, le frêne et le pin maritime ; sur les pentes qui vont en décroissant jusqu’à Bougie, par le territoire de Toudja, c’est le chêne-liége qui domine. Plus loin, la chaleur est telle que l’oranger, le citronnier et tous les arbres qui ont besoin d’une température constamment douce y croissent à plaisir et donnent d’abondantes récoltes.

Je n’ai pas à m’occuper ici du versant qui regarde Bougie, sur lequel on voit le chêne, le noyer, le frêne, le chêne-liége, le pin maritime, le micocoulier, l’orme, le peuplier blanc et le myrte. Dans l’Oued-Biban, l’olivier fait la richesse des Béni-Mansour et des Béni-Mélikeuch ; il croît chez les Béni-Abbès partout où il n’y a pas de hautes futaies. Tout cela est conforme aux lois végétales ordinaires et n’a rien qui surprenne ; mais en gravissant les rampes menant au plateau de Zeffoun, je fus frappé d’étonnement à la vue de deux bouleaux faisant commerce d’amitié avec deux orangers dont les branches se touchaient, et à travers lesquelles ils promenaient leurs tiges blanches, couronnées d’un feuillage tremblottant et menu. Jusqu’alors, j’avais cru que cet arbre n’appartenait qu’à la zone boréale de l’Europe, à la flore de la Russie et de la Scandinavie et des plus pauvres parties du sol forestier de la France.

Ceci me rappelle combien les Russes le vénèrent et regrettent son absence dans les pays chauds. Il y a quelques années, me rendant de Téhéran aux bords