Page:Le Tour du monde - 16.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tombe romaine, à Taksebt (voy. p. 300). — Dessin du commandant Duhousset.


EXCURSION DANS LA GRANDE KABYLIE,
NOTES ET CROQUIS RECUEILLIS ENTRE LA MÉDITERRANÉE ET LE DJURJURA,


PAR LE COMMANDANT DUHOUSSET[1],


1864. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


III


De Bougie à Dellys. — Les mœurs et coutumes des Kabyles.

À quatre heures du soir, après avoir parcouru Bougie, visité ses places, ses rues nouvelles, ses édifices musulmans, son église catholique, ses citernes monumentales et son cirque romain ; après avoir salué, dans l’arène de ce cirque, le tombeau du commandant Salomon de Musis[2], et, dans le fort Moussa, le cercueil du général de Barral[3], nous songeâmes à regagner notre bivac, situé, comme nous l’avons dit, à quelques lieues en arrière. Nous suivîmes pour l’atteindre un sentier qui passe sur les crêtes mêmes des hauteurs et domine tout à la fois la vallée du Sahel, la ville et la mer.

Arrivés à sept heures, très-heureux de cette course, nous fîmes honneur au dîner champêtre qui nous attendait, ayant pour intermèdes les cris aigus des singes, dont les silhouettes gambadaient sur les rochers. Leur curiosité était éveillée par le mouvement, insolite à pareille heure, dans l’endroit où nous avions établi nos tentes. On vint offrir à nos gens quatre de ces animaux, gros comme de petits chats ; n’ayant nulle envie de les manger, encore bien moins de les emporter, nous les renvoyâmes d’où ils venaient.

Ces singes-là ressemblent à de petits hommes ; ils n’ont pas de queue ; cet appendice est chez eux remplacé par une verrue grosse comme un pois. J’ai vu des femelles effrayées, ayant de chaque côté des joues de longs favoris blancs, prendre leurs petits sur leur poitrine, et gravir, avec une inconcevable rapidité, des pointes de rochers très-escarpées. À l’époque de la récolte, ces animaux s’assemblent quelquefois par centaines, et ravagent un champ dans une nuit. Ils ont, dit-on, des magasins dans des creux de rochers, et y font des réserves de provisions assez grandes pour que les indigènes les recherchent et aient lieu de se plaindre d’un dommage très-réel.

Nous nous laissions aller au bien-être d’une jolie soirée après une journée fatigante, lorsque l’on nous prévint qu’un touriste, parcourant le pourtour du golfe de Bougie et se rendant à Toudja où nous devions rentrer le soir, désirait nous être présenté.

La rencontre d’un touriste, c’est-à-dire d’un artiste, d’un érudit, ou tout au moins d’un homme curieux des êtres et des choses, est une bonne fortune sur une route peu fréquentée, et à plus forte raison en Kabylie. Nous accueillîmes donc celui-ci avec plaisir. Ayant entendu parler à Bougie du beau site de Toudja et de quelques

  1. Suite et fin. — Voy. page 209.
  2. Cet officier, commandant supérieur de Bougie, fut assassiné par les Kabyles en 1836.
  3. Le général de Barral, blessé mortellement en 1850 chez les Beni Immel, et mort deux jours après à Bougie, fut inhumé dans le fort, qui changea contre son nom celui de Moussa qu’il avait porté jusqu’alors. Le cercueil du général repose sous la voûte même de la porte du fort, dans une niche pratiquée dans l’épaisseur de la muraille.