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ren se montrait à notre droite ; j’y montai, et fus récompensé de ce surcroît de fatigue par l’imposant aspect de l’immense étendue qui se déroulait à mes pieds. J’apercevais au nord, le Tamgout et la mer ; à l’ouest, la vallée du Sébaou, qui se perdait dans les brouillards ; au sud, le grand profil du Djurjura ; enfin à l’est, des arbres et un inconnu montueux, vers lequel je projetais de me diriger le lendemain. Je croisai en chemin quelques femmes assez jolies, et des enfants toujours blonds.

La nuit, le thermomètre descendit à vingt degrés, c’est-à-dire à cinq ou six degrés plus bas qu’à l’ordinaire.

Depuis Mokuéa, on nous avait parlé de la présence assez fréquente de panthères dans la contrée.

Dès mon arrivée, j’avais demandé à voir le tueur de panthères du village ; car le métier de Nemrod, fort honorable chez les Beni-Ghoubri, y forme une fonction spéciale. N’ayant besoin que de peu de sommeil, j’ai l’habitude de sortir de très-grand matin, et de faire une petite promenade qui me montre sous un nouvel aspect ce que j’ai vu au coucher du soleil et me permet d’assister à tous les détails, souvent intéressants, du lever de notre petite expédition. Le chasseur était arrivé pendant la nuit : je l’interrogeai ; il m’apprit qu’il avait déjà tué trente-six panthères, et que son père en avait pour sa part détruit soixante-quinze. Il ajouta qu’il espérait bien arriver au même chiffre.


Panorama du Djurjura. — Dessin du commandant Duhousset.

C’est un jeune homme de vingt-huit ans, de taille moyenne, d’une constitution nerveuse et d’une figure intelligente, avec des traits fins. Je le dessinai de face et de profil. Il habite un village où nous devions déjeuner le lendemain. Sa manière de chasser est bien simple : il place un appât auprès d’un arbre sur lequel il monte ; puis, lorsque la bête se présente, il l’ajuste et a le talent de ne la pas manquer, bien que son arme, simple fusil kabyle, à silex, ne puisse inspirer beaucoup de confiance.

Mon cheval, très-surexcité au moment du départ, peut-être par suite des clameurs nocturnes dont il n’avait pu se rendre compte, profita du voisinage d’un autre cheval, que l’on tenait en main, pour se livrer avec lui à un combat furieux, et finit par s’échapper, emportant, en dedans de la cuisse, une large entaille qui saignait goutte à goutte, et il ne pouvait plus s’appuyer que sur trois pieds ; ce fut ainsi qu’il arriva à Tighil-Bouk-bair, où je dus le laisser.

Ce village gît, à près de six cents mètres d’élévation, absolument comme une aire d’oiseau de proie dans un creux de rocher. La perspective rappelle celle dont on jouit à Icouren ; seulement on aperçoit un peu plus la mer, et l’on découvre la vallée de l’oued Hammam. J’y fus accueilli par un joueur de flûte et