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la nuit pour nous donner la jouissance de prendre notre café frappé de glace, par une température de quarante degrés.

De ce lieu, dont l’altitude ne dépasse pas cinq cents mètres, notre regard embrassait toute la riche vallée du Sébaou, et, en remontant au sud-ouest, rencontrait la ligne des cimes du Djurjura bien connue de chacun de nous.

À un quart d’heure de notre station, nous visitâmes une très-jolie fontaine, bâtie à la manière turque par un maçon de Souhama. Son entourage de rochers et d’arbres offrait aux regards un motif que n’eût pas dédaigné Salvator Rosa.

De là, nous nous engageâmes dans un terrain boisé, pour monter jusqu’à mille mètres sur un plateau ceint d’une forêt et terminé, à cinquante mètres plus haut, par le monticule de Moknéa. De son sommet, que domine le village, je jouis d’une vue très-étendue de toute la Kabylie, par un coucher splendide de soleil. Le rocher sert à la construction des maisons qui s’y appuient ; sa pierre se fend avec facilité, et assez régulièrement. Cette opération a été faite devant moi. Trois coups d’un lourd instrument pointu en fer, donnés régulièrement dans la même direction, déterminent une fente dans la masse rocheuse, qui s’ouvre comme les feuillets d’un livre. Cette manœuvre, répétée plusieurs fois, procure d’assez grandes dalles, que l’on peut employer immédiatement.

Les enfants de Moknéa sont presque tous blonds, surtout les filles dont la chevelure frisée n’est jamais coupée, tandis que les petits garçons ont la tête entièrement rasée. Les femmes sont assez laides et fort malpropres, quoique le haïk, leur seul vêtement, soit plus joli que celui des femmes des autres villages.


Chemin traversant le Djurjura au col de Tirourda. — Dessin du commandant Duhousset.

J’ai eu toutes les peines du monde à dessiner une petite fille qui, après m’avoir curieusement regardé quand je ne m’occupais pas d’elle, m’a obstinément tourné le dos dès que j’ai cherché à faire son portrait. En dépit de mes instances, généreusement appuyées par l’offre de quelques piécettes, je ne pus décider la farouche petite montagnarde à poser, et je dus me contenter de la placer dans un groupe.

Nos tentes étant établies sur la lisière d’un bois, nous fûmes assourdis, tant que dura la nuit, par les cris des chacals et des hyènes, dont les lugubres clameurs témoignaient énergiquement de leur désir de prendre part aux reliefs de la diffa que le village avait servie, comme de droit, aux cavaliers de notre escorte.

Nous étions arrivés à trois heures et demie à Moknéa, que nous quittâmes le lendemain, 19, à sept heures du matin.

Une plaine couverte de buissons et de lentisques nous conduisit, en appuyant un peu au nord-est, à une clairière où se trouvent des ruines romaines. C’était, à n’en pas douter, un poste fortifié, une redoute carrée de soixante pas de chaque côté, ayant eu probablement une tour ronde sur chacune de ses faces et à chacun de ses angles ; ainsi du moins semblent l’indiquer les quelques pierres à coins arrondis qui gisent sur le sol aux places dont nous venons de parler.

À neuf heures, nous reprenions notre direction sur Chêbel, après avoir cheminé quelque temps sous une forêt de chênes-liéges. Nous étions depuis la veille chez les Beni-Ghoubri.

Ici les matériaux de construction sont des éclats de rochers, et de grands morceaux de liége servent à la toiture, que l’on charge de grosses pierres pour empêcher le vent d’avoir trop de prise sur ces tuiles énormes et si légères. Nous campâmes en pleine forêt, à quatre heures du soir. Le site où nous nous trouvions était grandiose comme la haute futaie de Fontainebleau ; on y éprouve une fraîcheur très-sensible. Le village d’Icou-