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route de Paris traverse encore deux autres belles futaies : celles du Gros-Fouteau (ainsi nommée d’un vieux mot français signifiant hêtre) et de la Tillaie-du-Roi. Ce sont aujourd’hui les trois massifs les plus remarquables de la forêt, où dominent presque partout ailleurs le taillis ou des plantations de pins. Ce sont des réserves luxueuses et improductives.

Un canton, celui de la Plaine-des-Écouettes, bien plus rarement visité que les précédents, mérite d’être signalé à part. Il a une physionomie singulière, due à des alternatives d’épaisses futaies et de clairières, toutes parsemées de genévriers, et à la présence de hauts bouleaux, dont la blanche écorce et le grêle feuillage, si léger de forme et de couleur, contrastent avec le ton sombre et vigoureux des autres arbres. Des routes infréquentées y prolongent au loin leurs verdoyantes pelouses de gazon.

Dans l’espace d’une seule promenade à travers la forêt on parcourt les paysages les plus divers ; depuis le paysage biblique de l’entrée des gorges de Franchard, où sur un sol aride et rocheux végètent quelques genévriers au tronc tourmenté, à la forme conique, découpant sur la clarté du ciel leur sombre et triste feuillage, jusqu’au paysage des régions du nord, où le bouleau est le dernier représentant de la végétation forestière du globe.

Tantôt, cheminant le long des crêtes découpées d’une colline, ombragée de pins maritimes, tout à coup, à l’angle d’une sorte de promontoire, l’horizon bleuâtre, apparaissant à travers une éclaircie, rappelle la mer Méditerranée, aperçue du haut d’un des détours de la route de la Corniche ; tantôt, d’un point élevé, la vue embrasse une immense étendue de forêt ; on n’aperçoit que des vallées, des collines, des chaînes toutes verdoyantes se succédant jusqu’aux limites de l’horizon.
La mare des Ligueurs, près de la fontaine Sanguinède. — Dessin de feu Desjobert.
La monotone grandeur de ce spectacle fait penser aux forêts infinies de l’Amérique, décrites par Cooper ; et si, de quelque endroit de cette mer de verdure, s’élève la fumée d’un feu de bûcherons, l’imagination se plaît à la prendre pour l’indice d’un feu allumé par une troupe de Sioux ou de Mohicans. Telle partie réveille dans l’esprit de nos militaires le souvenir de l’Algérie ; ils l’ont surnommée la Petite-Kabylie. L’imagination humaine est ainsi faite : aux impressions présentes elle compare involontairement celles éprouvées antérieurement. L’enfance seule, dépourvue d’expérience, se livre tout entière et sans arrière-pensée à la nouveauté des spectacles, à l’impression du moment ; c’est là ce qui rend les impressions du jeune âge si vives et par suite si durables.

D’autres sites donnent lieu à des rapprochements plus singuliers encore. Tel est, à l’ouest et en dehors du bornage de la forêt, du côté des rochers d’Arbonne, un cône attirant de loin les regards, moins par son élévation que par la blancheur éblouissante de ses sables, qui lui a valu le nom de Petit-Mont-Blanc. Pour peu qu’on soit familiarisé avec la vue des glaciers, on trouvera un rapport de ressemblance entre l’arrangement de ce sable et l’aspect que présente sur les hauteurs des Alpes la neige nouvelle et pulvérulente, qui, sans cesse soulevée et remaniée par Le vent, s’accumule dans les creux, s’étale en talus réguliers, s’allonge en crêtes étroites à biseau tranchant, ou se dresse en parois qui surplombent. Le sommet de ce tertre blanc offre encore d’autres points de comparaison : il se termine par un plateau horizontal de roches de grès compact, plateau tout fendillé, divisé par de nombreuses fissures, ressemblant aux crevasses des glaciers.

Ce phénomène de surfaces horizontales et étendues de roches de grès sillonnées de crevasses se remarque fréquemment ailleurs sur le haut des collines de la forêt. Il me rappelle également par la multiplicité, par la di-