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d’armes peu parlementaires dont elles sont souvent la cause.

Rien n’a plus efficacement agi sur les Kabyles, pour les amener à capituler en 1857, que la promesse de respecter leurs coutumes et leurs élections communales. Nous y trouvions notre intérêt, parce que la défense du pays les avait tous réunis dans une même cause ; et les divisions intestines devaient servir plus tard à la consolidation de notre conquête, jusqu’à ce qu’une connaissance plus approfondie de la contrée nous permît de diriger nous-mêmes ces élections pour amener la pacification complète du pays, tout en laissant, en apparence, l’honneur du résultat aux Kabyles.

Durant l’été de 1864, le calme régnait dans la grande Kabylie. Je voulus profiter des loisirs qu’il nous faisait pour compléter, par une excursion d’une vingtaine de jours, mes études commencées sur la contrée et sur ses habitants. Parmi les officiers de mon voisinage, je rencontrai quelques amis poursuivant le même but, les uns venant des bords de la mer, les autres descendent du fort Napoléon. Nous choisîmes la position centrale de Tizi-Ouzou pour lieu de rendez-vous et pour point de départ.

Et maintenant, quelques mots sur ces deux localités, qui jouent un rôle capital dans l’histoire moderne de la grande Kabylie.

Le fort Napoléon, le plus important de nos établissements militaires dans cette région, a été élevé pendant l’expédition de 1857, au centre même des Beni-Iraten, qu’on n’avait pu comprimer jusqu’alors. Le maréchal Randon en posa la première pierre le 14 juin 1857, et le relia en vingt jours à Tizi-Ouzou, par une route carrossable. Cinq mois suffirent pour tout terminer. Si l’on songe que tout était à créer, on ne saurait trop admirer l’intelligence de nos officiers ainsi que le courage et l’activité de nos soldats quittant le fusil pour
Tombeau romain près du fort Napoléon. — Dessin du commandant Duhousset.
la pioche et la truelle. Le fort Napoléon est placé sur un plateau fortement accidenté, élevé de plus de huit cents mètres au-dessus du niveau de la mer, au lieu dit en arabe Souk-el-Arba, d’après un grand marché qui s’y tient le mercredi. Son enceinte de deux mille mètres, flanquée de dix-sept bastions, renferme une aire de douze hectares, coupée de rues larges et bordées par tous les bâtiments militaires qui constituent l’installation et le bien-être d’une forte garnison. L’activité coloniale y est déjà assez développée pour y avoir construit une centaine de maisons particulières, élevées sur les deux côtés de la rue centrale de la citadelle.

Du haut des remparts, on domine au loin le bassin de l’oued Sébaou, qui arrose, par son cours principal ou par ses affluents, la partie centrale, le cœur pour ainsi dire de la grande Kabylie. Tandis qu’au nord, l’œil est borné par la chaîne maritime qui longe la Méditerranée, de Dellys à Bougie, au sud, il suit les arêtes des contre-forts du Djurjura, plonge dans les profondes ravines qui découpent les plateaux des Zouaouas et remonte le long de leurs versants jusqu’aux crêtes chenues qui bornent l’horizon.

Une route de voitures relie aujourd’hui le fort Napoléon au poste militaire de Tizi-Ouzou (le col des Genêts). Ce nom est porté à la fois par un village de deux à trois cents habitants, et par un bordj ou fort situé au sommet d’un col de trois kilomètres de largeur environ, encaissé entre deux hautes chaînes de montagnes. Il a été bâti par les Turcs sur des ruines romaines ; de fortes murailles forment ses remparts, et dans leur épaisseur sont ménagés quelques réduits casematés servant de chambres à la garnison ; la porte ouverte sur la vallée est pratiquée sous une large voûte qui en défend l’accès. Au milieu de la cour, se trouvent un puits et une koubba.