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pris en l’an de grâce où nous sommes. J’avais passé la nuit à Emmendingen, dans une auberge tellement vaste qu’on aurait pu faire un domaine du terrain enclos par ses bâtiments : j’ai l’air d’exagérer, mais si le lecteur descend un jour à l’hôtel de la Poste, il verra que je ne commets pas la moindre hyperbole. Son immense cour et l’emplacement des constructions fourniraient l’espace nécessaire pour une maison de campagne, une petite ferme, un potager spacieux et un ample jardin d’agrément. Le terrain n’est sans doute pas cher dans la Forêt-Noire, pour qu’on le prodigue de cette façon.

L’omnibus jaune ne devant pas être attelé avant dix heures, je partis à pied pour Waldkirch. Trois lieues, ce n’était pus une affaire ; quoique le temps fût sombre, j’eus la chance d’atteindre la ville sans être mouillé,
Le château de Zwingenberg, sur le Neckar. — Dessin de Stroobant d’après nature.
une jolie ville, par ma foi ! couchée dans une vallée spacieuse et féconde, entourée de hautes montagnes, qui permettent au regard de se promener pendant que le corps reste immobile. Les principales sont le Kandel, au midi, et le Tafelbübl, à l’orient. Waldkirch et son territoire appartenaient jadis à un couvent de nobles dames, fondé en 914 par un certain duc nommé Burckhardt. Les nonnes titrées furent dans l’obligation de se choisir un vidame, c’est-à-dire un protecteur qui, la lance en main, pût les défendre contre les barons du voisinage. Ce champion des belles recluses se fit construire un château en face de la ville, sur un mamelon isolé, autour duquel les montagnes forment un hémicycle. Les ruines de ce manoir subsistent encore et produisent à distance le meilleur effet : un artiste n’inventerait pas mieux pour décorer un paysage. Qu’advint-il ?