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faut consulter. Martin Gerbert, supérieur de l’abbaye, les éclipsa tous : on lui doit l’histoire latine du pieux établissement[1]. Cette ruche de laborieux investigateurs jouissait à Vienne d’une faveur si grande, que divers princes de la famille impériale voulurent être ensevelis dans leur église. Le monastère ayant été incendié en 1745, ce fut seulement en 1786 que Martin Gerbert fit construire une nouvelle basilique. Peu de temps avant la suppression de l’abbaye, le titre de prince fut accordé au chef de la congrégation par l’empereur François II. La Révolution française ayant dépossédé l’Autriche du midi de la Forêt-Noire, et les immenses propriétés des moines ayant été sécularisées, comme nous l’avons dit, le même souverain leur offrit un asile en Carinthie, où il leur donna le couvent de Saint-Paul, dans la vallée de Lavanda. Ils y transportèrent leur bibliothèque, leurs manuscrits, leurs objets précieux et les dépouilles des Habsbourgs qu’abritait leur église.

Elle est encore debout et n’a point changé de destination. Saint-Pierre de Rome ayant été pris pour modèle, on aperçoit de très-loin son dôme spacieux. Des colonnes gigantesques en granit soutiennent l’entablement du vestibule ; la coupole est ornée de peintures à fresque. Le chœur s’élève comme une estrade au-dessus du pavé des nefs. Une dalle portant une épitaphe très-simple désigne la place où repose Martin Gerbert.

L’industrie moderne a pris possession des vastes bâtiments monastiques, formant un quadrilatère mal dessiné. Dans la salle capitulaire et dans les salles d’étude, dans le réfectoire, dans les dortoirs, dans la bibliothèque et la chambre des hôtes tournent et grondent les bobines d’une filature de coton. Les eaux de la montagne donnent l’impulsion aux deux turbines qui les mettent en mouvement. Les constructions accessoires de l’abbaye servent de magasins ou logent les ouvriers, qui ne sont pas moins de quatre cents. Avec le reste du personnel, ils égalent en nombre la population du village groupé autour des édifices conventuels. Les maisons adjacentes ne contiennent guère que leurs familles et les hommes de métier qui leur servent. Ainsi se transforment toutes choses ; ainsi la mobilité perpétuelle de la vie déjoue toutes les présomptions, comme elle brave tous les systèmes.


VIII


La ligne transversale la plus fréquentée, dans le groupe montagneux du Feldberg, c’est la vallée qui mène de Fribourg à Schaffouse : elle forme une route naturelle de commerce et de travail. Quoiqu’elle monte assez haut vers le milieu du trajet, puis redescende de l’autre côté, elle épargne aux voitures un si long détour que deux villes importantes ont pris naissance aux deux extrémités. Fribourg servait d’entrepôt pour les marchandises qui venaient de la Suisse et de l’Italie ; Schaffouse abritait dans ses magasins celles qui venaient de l’Alsace, des provinces Rhénanes, des Pays-Bas et de la France : sur ses quais, d’ailleurs, les bateaux arrivant du lac de Constance et de plus haut débarquaient forcément leurs cargaisons, un peu avant la chute du Rhin.

Fribourg est construite si près de la Forêt-Noire, que la première ondulation de la montagne pénètre dans la ville et lui forme un rempart vers l’est. Sur cet escarpement ses fondateurs dressèrent un château fort. Berthold II, duc de Zæhringen, passe pour l’avoir fondée au commencement du douzième siècle : mais il ne fit sans doute que l’enclore et lui octroyer un blason municipal, car les cités qui ont de l’avenir se fondent toutes seules. En 1120, il lui donna une constitution et des lois qui paraissent avoir été fort bonnes, puisque les habitants leur durent un long repos. Il avait modelé cette charte sur celle de Cologne. Mais il manquait à Fribourg une église importante, une cathédrale qui devînt le centre physique et religieux de la commune. Le frère de Berthold, nommé Conrad, voulut achever l’œuvre de son prédécesseur, et, s’il faut en croire la tradition, il posa la première pierre de l’édifice actuel. On ignore jusqu’où la bâtisse parvint sous son règne (1122-1152) ; mais l’ancien chœur byzantin et le transept de même style, encore existant, sont les seules parties que l’on puisse attribuer à ses généreux efforts. Pendant qu’on y travaillait, saint Bernard visita Fribourg : il prêchait la croisade avec toute l’exaltation héroïque du moyen âge. Ses miracles éveillèrent, dit-on, les consciences endormies. Un grand nombre d’habitants allèrent expier leurs fautes sous l’ardent soleil de la Judée, près des citernes qui désaltéraient les patriarches. Berthold V, mort en 1218, fut enseveli dans la grande nef. On peut conclure de là qu’elle était au moins fort avancée. L’inscription circulaire de la grosse cloche atteste qu’on la fondit en 1256. Cette épigraphe nous indique d’une manière certaine l’époque vers laquelle l’église et la flèche atteignirent leurs dimensions voulues. La chronique prétend qu’elles furent terminées en 1272. Un bruit vague attribue à maître Erwin de Steinbach l’honneur d’avoir construit la magnifique pyramide. Aucune preuve positive ne confirme cette tradition, mais aussi rien n’empêche de l’admettre, vu surtout que le grand architecte est né dans le duché de Bade.

À peine Fribourg venait-il de se compléter, en achevant l’église Notre-Dame, que la bourgeoisie se révolta contre ses princes. Elle détruisit les châteaux de Zæhringen et de Burghalden. Leurs ruines fumantes attestèrent son courage et la tyrannie d’Égon, qui opprimait sans pitié ces dignes sujets. Dans une sortie vigoureuse, ils tuèrent Conrad de Lichtenberg, archevêque de Strasbourg et parent de leur suzerain. Les prodigues héritiers de celui-ci donnèrent à la haine publique de nouveaux aliments ; on rompit tous les traités, et la guerre dévasta les campagnes. Ce fut pendant ces jours sinistres que résonna pour la première fois sur la cathédrale ce que les habitants nommèrent la trompette de la terreur,

  1. Historia Nigræ Sylvæ ordinis Sancti Bencdicti Coloniæ, opere et studio Martini Gerberti collecta et illustrata. Typis ejusdem monasterii, 1783.