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traverse des bois majestueux, une forêt de hêtres notamment, qui allongent leurs rameaux comme si chacun d’eux voulait embrasser toute la montagne, et dressent leurs troncs comme les piliers d’une église. On finit par atteindre un grand chemin, une route monumentale, dont les sinuosités vous mènent au but de votre course. Dès qu’on aperçoit les débris, on reconnaît le goût infaillible avec lequel les solitaires chrétiens choisissaient l’emplacement de leurs retraites, et l’on entend déjà gronder le torrent qui passe près des vieux murs. C’est un site admirable que cette corbeille spacieuse et verdoyante, exhaussée à deux mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Quant au monument lui-même, les restes de l’église provoquent seuls l’attention comme œuvre d’art, et encore leur délabrement fait-il leur principale beauté. Une plus ancienne basilique


Maison dans le Val d’Enfer. — Dessin de Stroobant.

ayant été anéantie par le feu en 1470, celle-ci fut érigée à une mauvaise époque ; le style gothique de la décadence y règne sans partage. On ne trouve pas une moulure qui puisse flatter un connaisseur ; l’édifice tout entier devait être d’une architecture assez pauvre. Mais il a maintenant l’attrait du malheur ; comme ces familles royales qui n’intéressent qu’après leur chute, il est paré de son désastre. Les pans de murs, les escaliers, les tourelles, qu’on examinerait d’un œil indifférent, s’ils n’avaient pas souffert, ont le charme des lentes décadences et la poésie des ruines. Les bois et le ciel forment perspective à chacune de leurs blessures, et des nuages d’or passent devant les fenêtres vides, comme les chars des dieux mythologiques. Le silène aux fleurs roses, la campanule aux fleurs bleues, le seneçon, le géranium bec-de-grue tapissent les parois. Sur une tour du portail, restée debout, ont grandi quelques sapins et végètent quelques mélèzes, dont le feuillage