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leur partie supérieure de grands bancs de grès, désignés sous le nom de plattières. Si, descendant d’une de ces collines et traversant la vallée étroite qui la sépare de la colline opposée, on gravit cette dernière, on retrouve une disposition de terrain tout à fait pareille et concordante. Sans être géologue, on est amené de suite à penser que la plattière de grès qui recouvre la seconde colline est le prolongement de celle de la première ; mais l’on ne peut deviner la cause de la séparation qui s’est opérée entre elles et a creusé une vallée, en enlevant la masse énorme de terrain qui les réunissait. Les géologues expliquent cette dénudation du sol par un brusque déplacement de la mer, qui, à une certaine époque, s’étendait sur le bassin de Paris et qui aurait été chassée dans la direction du sud-est au nord-ouest. Les violents courants produits par ce mouvement de translation, emportant les parties les moins résistantes du sol, y creusèrent les longs sillons qui forment les vallées comprises entre les collines de la forêt ; celles-ci représentent les portions non entamées.

Au bord des collines se déversent d’énormes tables de grès, détachées du plateau horizontal des roches supérieures, et leurs pentes sont couvertes de blocs amoncelés ou épars qui ont glissé sur les sables, entraînés à leur tour, dans la suite des temps, par les eaux de pluie ; ces entassements de rochers ont un caractère imposant.

Les masses de grès qui donnent une physionomie si caractéristique à la forêt, ne se trouvent en blocs isolés que là où les assises de sables ont été entamées par les agents de destruction ; leur « disposition ruiniforme, » si remarquable, est une conséquence de la dénudation du sol. Partout où les masses sont encore en place, elles forment, dit M. de Senarmont, « des blocs irréguliers, mamelonnés, aplatis et quelquefois si étendus dans le sens horizontal qu’on les prendrait pour des bancs continus. Leur épaisseur est variable et comprise entre deux surfaces très-contournées. » Les grès paraissent avoir été produits par des infiltrations siliceuses, qui auraient agglutiné les sables. Les uns et les autres ont une origine commune et ne diffèrent entre eux que par l’état solide ou mobile de leurs parties constituantes.


La roche qui pleure (Franchard). — Dessin de feu Desjobert.

On rencontre accidentellement dans certains points de la forêt des cristallisations de grès, dont tous les musées de l’Europe et les cabinets des amateurs ont recueilli des échantillons, à cause de cette particularité singulière, que leurs formes cristallines sont celles du carbonate de chaux. Ces cristaux de grès, nommé à cause de cela : grès pseudomorphique, ont été produits par le mélange des infiltrations siliceuses avec des infiltrations calcaires ; celles-ci provenant du calcaire lacustre supérieur, situé au-dessus du sable.

Les blocs de grès présentent encore çà et là une apparence trompeuse de cristallisation à leur surface, imitant les mailles d’un filet ou les écailles de reptiles. C’est un simple phénomène de désagrégation, purement superficiel, qui s’opère sous l’action des influences atmosphériques.

Pour terminer ce qui a rapport aux observations que l’on peut faire dans la forêt de Fontainebleau, relatives à l’état physique des grès, on a fréquemment l’occasion de remarquer sur d’énormes blocs, fendus et séparés en deux morceaux, de beaux exemples de cassure conchoïdale, à rides concentriques, concave sur une des faces, en saillie sur l’autre. Enfin nous signalerons, comme une curiosité très-singulière, une cassure en voûte, faisant arche de pont d’une assez grande ouverture, dans un massif de grès ignoré jusque dans ces derniers temps, et près duquel passe aujourd’hui un sentier récemment tracé par M. Denecourt, à l’entrée des gorges de Franchard.

Si les accidents géologiques du sol racontent encore aujourd’hui l’action exercée par la mer, à des époques inconnues et qu’on ne saurait apprécier, les temps historiques fournissent peu de renseignements sur le passé de la forêt.

Au moyen âge elle s’appelait la forêt de Bière (Bieria), nom provenant, suivant certains écrivains à imagination aventureuse, d’un chef danois, Bier Côte de Fer, qui, en 845, ravagea tout le pays entre Fontainebleau et Melun, et y répandit la terreur par ses cruautés.

Les savants ont interprété ce nom par le mot latin