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des montagnes, dont ils éveillèrent les nombreux échos ; ils annonçaient ainsi leur arrivée. Ils dansèrent ensuite à cette même place pendant quelques minutes, formant un cercle au milieu duquel Bouarate me dit que se trouvaient les présents qu’on allait lui offrir. Enfin le groupe reprit sa marche en file indienne, et s’avança toujours en silence. Arrivée sur le plateau où nous nous trouvions, cette troupe manœuvra de façon à venir défiler devant la longue ligne formée par les guerriers de Bouarate en commençant par notre droite. Tous ces hommes passèrent ainsi devant nous du pas tranquille, léger et silencieux qui caractérise la marche du sauvage. Tous étaient nus et avaient la poitrine et le visage noircis ; leur main droite était armée d’une longue lance effilée, ou d’un casse-tête sculpté bizarrement. Pas un seul ne détourna la tête pour regarder d’un côté ou de l’autre. Je comptai cent cinquante guerriers. Derrière eux venaient cinq ou six kanaks, portant une immense tortue et différents autres présents qui furent déposés devant Bouarate.


Joueur de flûte. — Dessin de A. de Neuville d’après une photographie.

Les kanaks de Néména, après avoir défilé, se rangèrent sur une ligne faisant face à la tribu de Hienghène. L’orateur sortit alors des rangs, s’avança devant Bouarate, et lui offrit les présents de la part du chef de Néména qui, n’ayant pu venir lui-même, avait envoyé son fils aîné, lequel désirait faire alliance d’amitié avec le fils de Bouarate, futur chef de Hienghène. Ces deux jeunes gens s’avancèrent, à leur tour, hors des rangs et se serrèrent la main ; puis le jeune chef du Nord présenta deux bouquets apportés par ses gens, pendant qu’un autre Néména, chargé des présents de son jeune prince, offrait des bracelets et des colliers au fils de Bouarate.

L’orateur de Bouarate prit alors la parole et remercia les braves guerriers de Néména de leurs deux bouquets formés de certaines plantes et de certains feuillages. L’un de ces bouquets était le symbole de la paix ; quant à l’autre, il renfermait un long collier de coquillages découpés, auxquels les kanaks attachent un grand prix. Après cette cérémonie les danses commencèrent ; elles furent suivies d’un repas ; puis les femmes pleurèrent le mort.

Le jour suivant je pris congé de Bouarate, et nous reprîmes notre marche vers Houagap, où nous arrivâmes le lendemain soir.

Toute cette partie de la côte, qui est assez habitée, n’offre rien d’extraordinaire ; seulement, la veille de notre arrivée à Houagap, nous fîmes halte vers une pointe de rocher au bord de la mer, en un lieu nommé Coquingone. Là, sur un grand rocher plat, je remarquai deux grandes cuvettes creusées dans la roche. L’une de ces cuvettes était à peu près pleine d’eau et l’autre vide. Mes guides m’assurèrent que si l’on vidait avec la main l’eau contenue dans la cuvette pleine la pluie surviendrait certainement, mais qu’au contraire si on emplissait la cuvette vide le beau temps serait assuré. Je souriais de cette superstition, mais je m’aperçus bientôt qu’elle devait être basée sur une expérience pratique. En effet, en regardant de plus près je vis que la cuvette pleine n’avait aucune fente, et de plus qu’elle était ombragée par le feuillage d’un vieil arbre rameux, de sorte que, l’eau, une fois dans la cuvette, devait mettre un long temps à s’évaporer ; par contre, lorsque la cuvette était vide en cette saison de courtes sécheresses, la pluie ne devait pas se faire beaucoup attendre.

L’autre cuvette, au contraire, exposée au grand soleil, avait dans les parois et dans le fond de petites fentes, par lesquelles il était facile à l’eau de s’infiltrer, de sorte qu’il fallait qu’il plût longtemps et beaucoup pour qu’elle s’emplît ; ce cas échéant, pas n’est besoin d’être sorcier pour pronostiquer le retour du beau temps, d’autant plus proche que la durée de la pluie aura été plus anormale.

Jules Garnier.

(La suite à une autre livraison.)