cieuse vallée, au milieu de laquelle court un véritable fleuve, aux eaux rapides et limpides. Cette vallée, bien protégée des vents, très-fertile, arrosée par la grande rivière et par une myriade de petits ruisseaux qui descendent de toutes les montagnes, est certainement appelée à rendre de grands services. Quatre tribus indigènes, riches et nombreuses, trouvent place le long de son cours que les bateaux d’un faible tonnage pourraient remonter jusqu’à vingt milles de son embouchure ; celle-ci forme un port étroit, mais offrant un bon mouillage et toute la sécurité désirable.
Quatre-vingt-dix ans avant moi, l’illustre Cook avait gravi, jusqu’à la ligne de faîte des montagnes de la côte, la route que je venais de suivre, et l’on me saura peut-être gré de placer en regard des impressions que je puisai dans le parcours de ces cimes, quelques-unes de celles que les mêmes aspects éveillèrent dans l’esprit de ce grand homme. On lit dans sa relation :
« … Du sommet des montagnes qui longent le littoral de Balade, nous aperçûmes la mer au sud-ouest, entre plusieurs échancrures d’une chaîne opposée. Cette découverte était d’autant plus importante, qu’elle nous permettait de juger de la largeur de l’île, qui dans cette partie ne devait pas excéder dix à douze lieues.
« Entre cette chaîne et celle que nous foulions, s’étend en berceau une grande vallée, dans laquelle serpente une rivière (le Diahot)}, dont les bords sont ornés de plantations variées et semées de villages nombreux. Du point où nous nous trouvions, nous dominions également le littoral uni qui borde le mouillage de Balade et qui se déroulait sous nos yeux comme un panorama. Le cours sinueux des cours d’eau qui l’arrosent, la verdure des plantations, les groupes de huttes indigènes, les nombreux bouquets de bois élevés et les écueils qui longent la côte, diversifiaient tellement la scène, qu’il n’est pas possible d’imaginer un ensemble plus pittoresque[1]. »
Le temps écoulé depuis le passage du navigateur anglais n’a naturellement rien changé au tableau.
Cette contrée n’a malheureusement pu être explorée par les chercheurs d’or, auxquels elle offre de grandes chances, car ses montagnes sont de même nature que celles de Poëbo où l’on a trouvé l’or pour la première fois ; ensuite c’est le seul point où les alluvions de ces montagnes aient pu se réunir en quantité considérable et sur une surface un peu étendue.
Jusqu’ici aucun colon ne s’est établi dans cette vallée ; il est vrai qu’à une si grande distance de a capitale, on ne peut venir s’établir qu’avec un approvisionnement suffisant pour remplacer, dans la plupart des cas, les ressources renfermées dans les magasins de Nouméa.
De Balade à Arama, la bande de terre qui s’étend entre le rivage de la mer et le pied des montagnes est assez étroite ; cependant on rencontre quelques rivières qui ont formé des deltas couverts de cocotiers. La tribu de Tiari, dont les confins nord bordent l’embouchure du Diahot, occupe une plaine vaste et fertile ; quoiqu’un peu marécageux, ce point serait bien choisi pour une station. Une population indigène assez nombreuse y est établie. Les cocotiers sont ici très-abondants, et toutes les vallées qui s’enfoncent dans l’intérieur, cultivées par les indigènes, sont très-abritées et très-fertiles ; je les crois éminemment propres à la culture du café.
En franchissant le Diahot à son embouchure, on se trouve à Arama, centre d’une des tribus les plus importantes du nord.
Le chef de ce village est un jeune homme, grand, bien fait, intelligent ; deux missionnaires français habitent au milieu de la tribu, bien que plusieurs de ses membres se montrent encore assez rebelles à leurs prédications, car ici nous sommes à une extrémité isolée de l’île, où les kanaks ont encore conservé toute leur indépendance.
Les kanaks n’ont pas de religion définie ; ils croient généralement qu’après leur mort ils se rendront au-dessous de la terre, dans un lieu où la nourriture est des plus abondantes, où la pêche est toujours heureuse, les femmes toujours jeunes, belles et souriantes. On y danse beaucoup aussi, les enfants y deviennent grands, et les vieillards jeunes ; pendant la nuit, on fait quelquefois des sorties sur la terre, pour venir tourmenter et battre les ennemis qu’on avait pendant la vie. Aussi les Calédoniens ne veulent-ils jamais sortir quand la nuit est noire ; ils croient aussi à une foule d’êtres surnaturels auxquels ils accordent différents attributs : les uns s’occupent de la pêche, d’autres de la guerre, de la mort ; généralement ces génies sont mauvais et exigent des sacrifices en échange de leurs services.
À tout ceci les kanaks joignent un grand nombre de superstitions ; ainsi ils rejettent à la mer certains genres de poissons qui se trouvent pris dans leurs filets, parce que ces poissons ne sont que des génies malfaisants qui se vengeraient si on les faisait cuire. (Cette superstition a peut-être sa base dans ce fait bien connu que certains poissons de ces parages sont vénéneux.) Une banane double mangée par une femme lui procurera deux enfants à la fois.
Avant de commencer une pêche, une guerre, une fête, ils vont sacrifier aux génies pour se les rendre favorables. Ordinairement le lieu du sacrifice est le sommet d’une montagne à forme bizarre, abrupte, rocailleuse, sur lequel on vient déposer les vivres et les présents qui composent le sacrifice.
Leurs prêtres, intermédiaires naturels entre les mortels et les dieux, sont ordinairement des vieillards, quoique ces fonctions se transmettent aussi de père en fils. On apporte des présents à ces espèces de sorciers, pour qu’ils veuillent bien, par leurs conjurations, obtenir des génies, du beau temps, une bonne pêche, ou toute autre chance favorable. Les présents sont toujours acceptés, les conjurations toujours faites, mais au jour dit s’il arrive de la pluie ou du vent, le prêtre n’est pas embarrassé ; il répond simplement à ses ouailles que la tribu voisine, leur ennemie, ayant eu besoin de ce temps-
- ↑ Cook, deuxième voyage, in-4o, t. III, p. 267.