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je le rencontre ; avec l’aide de quelques bons kanaks, je l’amarre à un cocotier au moyen d’une forte liane ; je vais vite trouver le chef du poste, M. Villegeorge, et je lui dis : « Capitaine, Philippo Païama est amarré près d’ici. »

« Le capitaine prend ses fusils et ses soldats. On trouve Païama bien amarré et on le fusille. — À ce moment, Oundo était à Tahiti. Je dis aux kanaks : « C’est moi qui suis le chef, et je frappai du pied le cadavre de Païama pour bien leur montrer qu’il était mort. » — Goa, ayant ainsi terminé son récit, poussa un grand éclat de rire qui n’éveilla pas d’écho en moi.

Oundo et Goa sont morts tous les deux à peu d’intervalle dans un combat livré en 1866.

Le Calédonien ne fait par jour qu’un seul repas sérieux ; il mangera l’amande d’un coco, une banane, quelques cannes à sucre ; mais le soir les pêcheurs reviennent avec du poisson, les femmes avec des coquillages et divers mollusques pris sur les récifs. Les parts se font entre les ménages avec la plus grande impartialité. On fait cuire le tout avec des taros et de l’igname dans de grands pots de terre ; on mange fort tard et en commun, puis on cause auprès du feu jusqu’à onze heures, minuit, une heure du matin. Quelquefois, lorsque le chef est jeune, c’est-à-dire ami du plaisir, on se réunit dans une grande salle, et l’on y danse fort avant dans la nuit, au son d’une musique des plus primitives.

Le Calédonien se lève donc fort tard, et sept heures forment une heure matinale pour lui ; il craint du reste énormément le froid et la rosée du matin, qui, toujours très-forte, l’enrhume en effet avec une très-grande facilité. Je crois donc qu’il est indispensable d’avoir égard à ce fait, et si l’on veut des travailleurs bien portants, il faut ne pas leur faire commencer le travail trop matin, quitte à le faire cesser un peu plus tard.


Kanak péchant entre les récifs. — Dessin de A. de Neuville d’après un croquis de M. Garnier.

Les voyageurs du siècle dernier ont dit que les Néo-Calédoniens étaient très-friands de terre, et en mangeaient beaucoup ; Balade est le premier point où j’aie constaté ce goût, que je n’ai jamais plus retrouvé que parmi les gens de Tiari, petite tribu du voisinage. Cette terre est un silicate magnésien verdâtre, dont les couches sont associées aux micaschistes et stéaschistes qui composent la montagne de Balade. On la trouve sur la route qui va de cette tribu à celle de Tiari. Vauquelin dit que cette substance contient des traces de cuivre. En tous les cas je puis réhabiliter les Baladiens et les Tiariens (qui sont les seuls qui en usent, à ma connaissance), en affirmant qu’il n’y a guère que les femmes qui, dans certains cas de maladie, mangent un peu de cette terre ; que quelques enfants en mangent parfois aussi, par esprit d’imitation seulement, mais n’en consomment jamais plus gros qu’une noisette. Cette terre qu’ils nomment pagoute n’a, du reste, aucun goût et, comme à la manière des stéatites, elle se convertit sous la dent en une poussière douce et tendre, elle n’a rien de désagréable.

Le centre de la Nouvelle-Calédonie est très-montagneux, mais toutes les chaînes de montagnes courent dans le sens de la longueur générale de l’île, tandis que les vallées et cours d’eau sont perpendiculaires à cette direction. Une seule belle vallée, la plus grande de l’île, fait exception à cette règle ; elle prend naissance, à peu près derrière Poëbo, court au nord-ouest suivant le grand axe de l’île entre deux rangées de hautes montagnes, pour déboucher à la mer sur les confins sud de la tribu d’Arama. Cette vallée, a reçu des Européens le nom de Diahot, qui, dans le langage des naturels, signifie simplement grande rivière.

Je m’y rendis de Balade en franchissant la ligne de faîte qui m’en séparait ; du haut de cette chaîne, qui a environ six cents mètres d’élévation, on jouit d’une belle perspective : on domine cette verdoyante et spa-