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Sous la galerie de Diane s’étend la galerie des Cerfs, construite en 1601, et ainsi nommée à cause des têtes et des bois de cerfs, qui faisaient partie de la décoration. Les poutres du plafond faisant saillie étaient ornées de têtes d’animaux et d’attributs de chasse. On voyait sur les murs, peints à fresque, les plans à vol d’oiseau de quinze résidences royales. Cette galerie fut convertie en appartements particuliers sous Louis XV. On achève en ce moment de la restaurer et de la restituer telle qu’elle était sous Henri IV.

C’est dans cette galerie qu’eut lieu, en 1657, par ordre de Christine, reine de Suède, l’égorgement du marquis de Monaldeschi, son favori, drame qui est resté le souvenir funèbre du palais. La relation en a été conservée par le père Lebel, supérieur des Trinitaires de la Rédemption. Son récit naïf avait été arrangé par Mme de Motteville dans ses Mémoires. M. Champollion Figeac l’a récemment publié conformément au manuscrit original, qui est aujourd’hui aux archives de la Tour, à Londres.

Des lettres écrites par le marquis, établissant sa trahison envers la reine, et tombées dans les mains de cette princesse, furent les motifs qui la poussèrent à prononcer cette impitoyable condamnation à mort ; cruauté odieuse et inexplicable, quand bien même il ne faudrait pas y voir, comme Voltaire, la vanité blessée d’une femme « terminant une galanterie par un crime. » Le P. Lebel, appelé auprès de la reine, le 10 novembre, à une heure après midi, la trouva dans la galerie des Cerfs, ayant près d’elle trois officiers de sa suite ; et un quatrième, le marquis de Monaldeschi, à qui elle montra des lettres, en l’appelant traître. « Il se jeta aux pieds de la reine, lui demanda pardon, et en même temps les trois hommes qui étaient là présents tirèrent leurs épées et ne les remirent qu’après avoir exécuté le dit marquis… Il tira la reine tantôt dans un coin de la galerie, tantôt dans un autre, la suppliant toujours de l’écouter. Sa Majesté ne lui dénia rien. — Mon père, me dit-elle, soyez témoin que je donne à ce traître tout le temps pour se justifier, s’il peut. — Après donc deux grandes heures de conférence, le marquis ne contentant pas la reine par ses réponses, Sa Majesté me dit d’une voix assez élevée, pourtant grave et modérée : — Mon père, je me retire et vous laisse cet homme ; disposez-le à la mort et prenez soin de son âme. — Les trois hommes pressent avec le fer, sans pourtant le toucher, Monaldeschi de se confesser. Le marquis éperdu se jette à mes pieds et me conjure de retourner auprès de Sa Majesté. Ce que je fis et la trouvai seule en sa chambre avec un visage aussi serein que si elle n’eût eu aucune affaire. L’approchant, je me laisse tomber à ses pieds, les larmes aux yeux et Les sanglots au cœur. » Le pauvre moine essaye en vain de la fléchir et même de lui démontrer qu’elle ne saurait ordonner un tel meurtre dans le palais du roi de France. Christine répond qu’elle est reine partout, et qu’en elle réside la justice absolue et souveraine sur ses sujets. « Je rentrai dans la galerie, dit le P. Lebel, en embrassant ce pauvre malheureux qui se baignait en ses larmes… Il acheva sa confession en latin, français, italien, ainsi qu’il se pouvait mieux expliquer dans le trouble où il était. » Le chef des officiers de la reine, qui avait encore été la trouver, accompagné de son aumônier, « revint et dit à Monaldeschi : — Marquis, demande pardon à Dieu, car, sans plus tarder, il faut mourir, tu es confessé. — Et, lui disant ces paroles, le pressa contre la muraille du bout de la galerie, et ne pus si bien me détourner, que je ne vis qu’il lui porta un coup en l’estomac, et le dit marquis le voulant parer, il prit l’épée de sa main droite, et l’autre la retirant lui coupa trois doigts et l’épée demeura faussée, et dit à un autre qu’il était armé dessous, comme en effet il avait une cotte de maille, et le même à l’instant redoubla le coup par le visage, après lequel le marquis cria : — Mon père ! mon père ! — Je m’approchai… je lui donnai l’absolution. Un autre lui donna un coup sur la tête qui lui emporta de l’os et étant étendu sur le ventre faisait signe et montrait qu’on lui coupât le col. » Enfin un de ces hommes « perça de son épée assez longue et étroite la gorge du dit marquis, qui du coup tomba sur le côté droit, où j’étais, et ne parla plus et demeura près d’un quart d’heure à expirer, durant lequel je lui criai : Jesus, Maria ! et autres choses dévotes. Il finit sa vie à trois heures trois quarts après midi. Le chef des trois lui remua un bras et une jambe, fouilla en son gousset et n’y trouva rien, sinon en ses poches un petit livre de la Vierge et un petit couteau. Ils s’en allèrent tous les trois, et moi après, pour recevoir les ordres de Sa Majesté. Elle me commanda d’avoir soin de l’enterrer et me dit qu’elle voulait faire dire plusieurs messes. Elle envoya cent livres pour le repos de son âme. » Le corps de Monaldeschi fut transporté à Avon et enterré dans l’église.

Louis XIV séjourna longtemps à Fontainebleau ; mais il devait établir ailleurs le siége de sa grandeur, Quand il eut fixé sa résidence à Versailles et à Marly, il faisait fous les ans le voyage de Fontainebleau. Il couchait ordinairement en route, soit à Petit-Bourg chez le duc d’Antin, soit à Villeroy chez le maréchal de ce nom. Tous les princes de la famille royale devaient être du voyage. Il voulait réunir toujours autour de sa personne le splendide entourage d’une cour nombreuse et brillante. Son despotisme s’exerçant sur les membres de sa famille, les princesses, même enceintes, ne pouvaient se faire excuser malgré les avis des médecins. C’est ainsi qu’il fit faire à la duchesse de Berry une fausse couche, en 1711. Pour obéir, elle vint en bateau jusqu’à Valvins.

Louis XV et Louis XVI séjournèrent également à Fontainebleau et s’y livrèrent aux plaisirs de la chasse. Louis XV n’avait que sept ans quand Pierre Ier vint, le 30 mai 1717, visiter Fontainebleau. La matinée du 31 se passa à courre le cerf. C’était la première fois que le tsar se livrait à cette chasse, « où, dit Saint-Simon, il pensa tomber de cheval ; il trouva cet exercice trop violent, qu’il ne connaissait pas. Le soir, il voulut manger seul avec ses gens dans le pavillon de l’étang.