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dire, elle était désapprouvée par beaucoup d’autres ; et ce fut à ces derniers que les événements donnèrent raison.

L’historique de cette colonisation par communauté serait certainement très-curieux, mais nous entraînerait trop loin ; je me bornerai donc à constater, comme un simple épisode de l’histoire de l’économie politique, que ce système n’eut pas même ici un seul instant d’éclat, comme cela se voit quelquefois dans ce genre d’entreprise, et que le moment de plus grande prospérité de ces malheureux associés fut celui de leur départ. Une année ou deux après, ils durent se séparer pleins de défiance, d’aigreur, de haine les uns contre les autres, et non-seulement ruinés mais endettés.

Pourquoi ce résultat ? — Tous les subsides d’argent, de vivres, d’approvisionnements de toute espèce, leur avaient été cependant prodigués par le gouvernement pour faire prospérer une œuvre dont il était le père. Serait-il vrai que l’homme ne se développe que par le désir inné de s’élever au-dessus de ses semblables, et qu’il perd son énergie aussitôt que cette émulation égoïste et condamnable lui fait défaut ?

En remontant d’une quinzaine de kilomètres le cours pittoresque de la rivière d’Yaté, j’ai visité un site que je recommande aux touristes en quête de belles scènes naturelles ; c’est la plaine des Lacs, formée, à quatre cents mètres environ d’altitude, par l’évasement en forme de


Vue de Kanala prise du sud-est. — Dessin de Moynet d’après une photographie.

cirque des montagnes qui encadrent le bassin de la rivière. La décomposition des roches magnésiennes de son pourtour a donné à ce plateau un sol argileux et imperméable, que les eaux découlant des hauteurs environnantes ont constellé d’étangs et de lacs aux ondes bleues et profondes. Quelques-uns de ces réservoirs, les lacs Latour et Néléatea, entre autres, ont plus d’une lieue de pourtour et leur ensemble forme un paysage plein d’originalité et de grandeur.

Le soir nous atteignîmes, dans la tribu de Kuanné, une baie qui porte aussi le nom de baie du Massacre, nom accolé à bien d’autres anfractuosités des rivages océaniens et qui rappelle ici un funèbre événement.

En 1861, un capitaine au long cours, M. Darnaud, qui s’était occupé de rechercher des mines de houille dans les environs du Mont-d’Or, entreprit de faire le tour de la Nouvelle-Calédonie, seul avec trois Kanaks dans un petit bateau, et descendant à terre tous les jours pour visiter le pays. Ce malheureux n’alla pas bien loin, car, dans la baie où nous étions mouillés, les naturels le massacrèrent ainsi que ses trois compagnons, firent un festin de leurs corps, et pillèrent le bateau. — À la suite de cette affaire, le commandant Durand, alors gouverneur de la colonie, s’empressa de diriger sur ce point une expédition, pour tirer vengeance de ce meurtre.