Page:Le Tour du monde - 16.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VIII


De la baie du Sud à Yaté.

Les calmes nous retinrent deux jours dans la splendide baie du Sud dont je parcourus les rivages, en admirant les immenses quantités de minerai de fer qui couvrent tout ce pays. Le soir même de notre départ, nous atteignîmes d’assez bonne heure Goro : la belle cascade de ce nom, n’était pas loin de notre mouillage. Ses eaux descendent d’un seul bond le long d’une montagne presque verticale. Le bassin qu’elles ont creusé au pied du rocher, invite le touriste à un bain délicieux.

À Goro, le sol n’est pas cultivable ; seulement, en divers points et notamment sur l’île Kuebüni, il est chargé de pins colonnaires (Araucaria intermedia) qui, à cause de leur hauteur, de leur diamètre, de l’absence presque complète de nœuds à leur partie inférieure, ont pu remplacer dans la colonie le sapin du Nord. Chaque année le gouvernement fait transporter au chef-lieu une quantité considérable de ces arbres. La plupart des îlots de cette région en sont du reste couverts.

La découverte de ces magnifiques végétaux, lors du deuxième voyage de Cook, fut pendant quelques jours un sujet d’étranges controverses, entre le célèbre marin et les non moins illustres savants qui l’accompagnaient.

Nous lisons à ce sujet dans sa relation :

« En aucune île de l’océan Pacifique, à l’exception de la Nouvelle-Zélande, un navire ne peut mieux se fournir de vergues et de mâts. La découverte de cette terre est précieuse, ne fût-ce qu’à cet égard. Le bois de ces arbres est blanc, dur, léger, d’un grain très-serré. La térébenthine qui suinte de l’écorce, forme, épaissie par le soleil, comme un revêtement de résine autour du tronc et des racines. Ils ont des branches plus courtes
Vampire de la Nouvelle-Calédonie. — Dessin de Mesnel d’après nature.
et plus frêles que les pins d’Europe, de sorte que les nœuds d’attache des rameaux sont presque imperceptibles quand on travaille la tige. La couronne terminale qu’ils portent à leur sommet leur donne, surtout de loin, un aspect singulier, ce qui explique comment nos naturalistes les avaient pris pour des colonnes de basaltes[1]. »

Après l’ascension de la cascade, nous allâmes avec le docteur et le second du bord, faire une promenade le long de la mer. Lorsque nous revînmes à l’embarcation, il faisait déjà noir ; nous poussions de temps en temps des cris pour nous assurer si nous approchions de nos matelots ; ceux-ci nous entendirent à la fin, mais ne reconnaissant pas nos voix, et quelque peu émus par l’obscurité de la nuit et des bois qui les entouraient, ils crurent à l’arrivée d’une troupe de kanaks et ne massèrent les uns contre les autres, sans répondre. Cependant, lorsque nous ne fûmes plus qu’à quelques pas, ils se décidèrent à parler, et s’imaginant toujours avoir affaire à des indigènes, ils nous crièrent : « Lélé tayos, beaucoup lélé. » (Bons amis, beaucoup bons.) À ces paroles, nous nous persuadâmes nous-mêmes que nous

  1. « Le 23 septembre, après avoir doublé le cap du Couronnement, nous vîmes dans une vallée au Sud un grand nombre de ces pointes élevées, qui depuis quelques jours formaient à notre bord un sujet de controverses. Ces objets qui ressemblaient à des piliers étaient parfois espacés sur le sol, et plus souvent encore formaient des groupes serrés.

    Comme dans toutes les parties du monde, on trouve des colonnades de basaltes, dans la haute Égypte et en Italie, sur les bords du Rhin et dans différentes parties de l’Allemagne, aux Hébrides, en Islande et en Écosse, en Irlande et en Auvergne, on pouvait supposer que ce phénomène était de la même nature, d’autant plus que tout récemment, dans les nouvelles Hébrides, nous venions de constater l’existence de plusieurs volcans. » (Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde exécuté sur les vaisseaux l’Aventure et la Résolution (1772-1175). — Édition in-4o, tome III, 378. Journal de Forster.)