d’eau dont les bords sont très-vaseux et difficiles à suivre, mais sa force et sa largeur à son embouchure prouvent qu’il doit parcourir et arroser dans l’intérieur des plaines cultivables. Il assurerait à des colons installés sur ses bords, une voie facile pour le transport de leurs produits jusqu’au port d’embarquement, et il serait intéressant d’étudier la grande vallée encore à peu près inconnue qu’il traverse.
Le canal Woodin, large en moyenne de quinze cents mètres, sépare la grande île de l’île Ouen ; les marées y établissent tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, un courant qui atteint cinq nœuds et oblige les bateaux qui n’ont pas un vent très-favorable à mouiller sur la côte en attendant son retour : heureusement les mouillages sont ici très-bons. Au sortir de ce canal, un peu au large, on jouit d’une vue des plus pittoresques.
Le second jour de notre départ, nous mouillâmes dans la baie du Sud ou de Prony, admirable de contours et de grandeur ; mais aucun kanak n’habite sur ses bords à cause de la stérilité du sol ; elle est souvent visitée par des bâtiments de l’État, qu’y attirent un très-bon mouillage, et, en second lieu, un banc de belles huîtres d’excellente qualité ; nous en fîmes une bonne provision.
Le lendemain le commandant, retenu par le calme, me proposa une promenade en baleinière jusqu’au fond de la baie. Nous devions y visiter des sources thermales. J’acceptai avec plaisir. À mesure qu’on s’enfonce dans la baie, elle va se rétrécissant, entre deux rangées de montagnes verticales ; elle se termine par un ruisseau qui coule au milieu du pays le plus sauvage que l’on puisse imaginer. Ce ruisseau, baptisé du nom de Nécoutcho, se jette à la mer par une petite cascade ; ses bords sont couverts d’une végétation enchevêtrée et presque impénétrable. Le sol est presqu’exclusivement composé de blocs immenses de minerai de fer ; cependant, une espèce de route a été tracée par les kanaks le long du Nécoutcho. Elle pénètre assez avant dans la forêt qui couvre la montagne, et conduit à la région des kaoris ou pins colonnaires : elle sert surtout à faire descendre jusqu’à la baie les kaoris destinés par les indigènes à être transformés en pirogues.
Le kaori, de la famille des dammaras, acquiert dans ces montagnes des proportions vraiment gigantesques. il s’élance d’abord en une colonne droite et sans branche jusqu’à trente-cinq et quarante mètres de hauteur sur un diamètre à peu près constant d’un mètre trente centimètres. Quel travail ne fallait-il pas aux indigènes pour couper le pied de cet arbre, le transporter jusqu’à la mer et le creuser avec leurs anciens instruments ! Le kaori sécrète abondamment une résine du même nom que le commerce commence à utiliser.
Les eaux thermales de la baie du Sud sont situées sur la rive gauche et à l’embouchure de la rivière Nécoutcho. Elles sont chargées de sels en dissolution qu’elles déposent sur chaque point de leur passage, de sorte que leur lit s’exhausse et se déplace souvent. Elles ont ainsi couvert de leurs dépôts la petite colline sur le flanc de laquelle elles jaillissent et circulent avant de se jeter dans la rivière. Nous mesurâmes leur température : elle était de 33° cent., celle de l’air ambiant étant à 26° cent. J’ai rapporté à Port-de-France quelques échantillons de ces dépôts ; leur analyse constate dans l’eau de ces sources la présence presque exclusive du bicarbonate de magnésie qui, au contact de l’air, laisse déposer du carbonate de magnésie en perdant une partie de son acide carbonique.
Cette eau minérale pourrait très-probablement être utilisée par la médecine.
Pendant que nous montions le chemin des kaoris, mon chien Soulouque nous accompagnait. Soulouque était un jeune chien d’arrêt, mâtiné, au poil noir, luisant comme du jais, avec une seule tache blanche. Il m’avait été donné au moment de mon départ de Nouméa par un individu qui y tenait peu et le battait même quelquefois, de sorte que la pauvre bête, enchantée d’un nouveau maître qui la traitait bien, me devint en peu de temps très-attachée et, avec une intelligence digne des plus grands éloges, me rendit, pendant le pénible voyage que j’entreprenais, bien des services dont le souvenir me porte à présenter Soulouque au lecteur comme un des acteurs principaux de mon excursion, surtout en ce qui concerne la garde du camp et la chasse. Les rives du Nécoutcho furent le théâtre de son premier exploit ; il vaut la peine d’être signalé. Nous avancions lentement à cause de la difficulté du chemin, lorsque nous entendîmes, à quelques mètres de nous, dans le bois, des cris retentissants qui nous étaient parfaitement inconnus, mais semblaient indiquer un animal puissant. Curieux de connaître l’auteur de ces cris perçants : « Ka-hou, ka-hou, » je m’avançai avec précipitation, mais non sans peine, vers le point d’où ils partaient, et j’aperçus mon chien en arrêt sur l’oiseau le plus curieux que l’on puisse imaginer. Monté sur de longues jambes rougeâtres, il essayait en vain de fuir, en sautillant, Soulouque qui toujours le devançait et lui barrait le chemin : la pauvre bête cachait sa tête baissée sous ses ailes déployées et arrondies et se contentait de pousser son cri de détresse. Je pus donc la saisir délicatement de la main à la naissance des deux ailes, la soulever et l’emporter malgré ses cris et ses coups de bec qui ne pouvaient m’atteindre ; et, non moins triomphant que Soulouque, qui bondissait de joie, je vins montrer ma prise au commandant.
Cet oiseau bizarre est spécial à la Nouvelle-Calédonie ; son nom indigène, tiré de son cri, est kagou ; il a été nommé par les naturalistes Rhynochetos jubatus.
La robe du kagou est le gris cendré et le roux ; une huppe gris blanchâtre orne sa tête ; son bec est rouge, long, pointu et très-fort ; ses yeux sont d’un beau rouge limpide avec une grande prunelle noire ; il n’y voit pas de très-loin, mais de près il distingue les plus petits insectes. Ses ailes, armées de longues plumes, forment, en se déployant, un éventail parfait à roues concentriques, successivement blanches, grises