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Vue de l’île Ouen et du canal Woodin. — Dessin de Moynet d’après une vue de côte (carte marine).


VOYAGE À LA NOUVELLE-CALÉDONIE,


PAR M. JULES GARNIER, INGÉNIEUR CIVIL DES MINES[1].


1863-1866. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


VI


Navigation autour de la Nouvelle-Calédonie, — Le Mont-d’Or. — Un massacre de colons et ses suites. — Le Magnagna.

De retour à Port-de-France, je reçus l’ordre de me tenir prêt à partir pour le Nord afin d’y reconnaître des terrains où l’on avait trouvé quelques parcelles d’or. J’abandonnai donc l’exploration des environs de Nouméa et m’occupai exclusivement de mes préparatifs de voyage.

Je devais être débarqué à Poëbo, à l’autre extrémité de l’île[2]. On a établi en cet endroit, depuis la découverte de l’or, un poste composé d’un brigadier et de deux gendarmes, mais malgré la présence de ces représentants de l’ordre civilisateur, Poëbo est en plein pays sauvage. J’allais donc me trouver au milieu des anthropophages, parcourant leurs territoires, leurs montagnes, obligé de me tenir constamment sur le qui-vive, dans des parages où notre autorité était à peu près inconnue, et sur lesquels bien souvent des récits peu engageants d’actes de cannibalisme circulaient dans Nouméa, parmi les caboteurs. Mais j’en avais pris franchement mon parti, et je ne comptais pas me laisser dévorer sans protestation ni résistance.

D’ailleurs sept soldats d’infanterie de marine, hommes d’élite, devaient m’accompagner avec la double mission de veiller sur tous mes pas et d’aider à tous mes travaux. En conséquence, au commencement de janvier 1864, je m’embarquai sur une belle goëlette de la station navale, la Calédonienne ; nous devions, comme d’habitude, naviguer entre la ligne de récifs et la terre. De cette façon, tous les soirs, d’assez bonne heure, nous pouvions aborder à une baie pour y passer la nuit. Ordinairement nous avions aussi le temps d’aller à terre et de voir un peu de pays.

Pour nous rendre à Poëbo, il nous fallut d’abord courir dans le Sud pour doubler la pointe méridionale de l’île et remonter ensuite jusqu’à notre destination, en suivant la côte orientale. Nous longeâmes ainsi plus de la moitié du littoral de l’île ; peu de points importants de la côte m’échappèrent, et il me fut surtout permis de visiter les plus intéressants.

En sortant du port de Nouméa et en se dirigeant vers le Sud, on se trouve en face du pic appelé le Mont-d’Or. Vue du large, cette belle montagne est d’un aspect remarquable. Son énorme masse est complétement détachée de toute chaîne et son flanc descend verticalement sans contour, comme une muraille de roches gigantesques superposées. Entre le pied de cette montagne et la mer, se déroule une bande de terrain légère-

  1. Suite. — Voy. pages 155 et 161.
  2. Voir la carte, page 179.