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outrages du temps, soit par les caprices de la Royauté, les productions de cette école dite de Fontainebleau, qui avait jeté tant d’éclat sur cette résidence.

La grande chapelle de la Cour ou chapelle de la Sainte-Trinité est, avec les galeries de François Ier et de Henri II, une des parties du château particulièrement intéressantes pour l’histoire de l’art en France. Les peintures en furent exécutées par Freminet, surnommé le Michel-Ange français, et qui fut premier peintre de Henri IV. Il avait passé seize ans à étudier en Italie. Imitateur assidu de Michel-Ange, il lui emprunta, à défaut de génie, la tension du style, l’exagération du dessin, et les attitudes forcées. C’est encore avec lui l’art italien qui trône à Fontainebleau. Les peintures, dont il décora la chapelle de la Sainte-Trinité, exécutées à l’huile sur plâtre, furent achevées sous Louis XIII, et sont tout ce qui reste de ses grands travaux, Elles avaient aussi été profondément altérées et elles ont été restaurées, il y a quelques années.

Dans une autre partie du château, les curieux de peinture trouveront plusieurs compositions d’Ambroise Dubois, d’Anvers, naturalisé en 1601 ; et les amateurs de scandale chercheront les traces de la galanterie royale, affichées d’une manière moins indirecte que dans la galerie des fêtes. Sur les panneaux de la chambre à coucher d’une autre reine de France, également de la famille de Médicis (elles étaient prédestinées), chambre appelée aujourd’hui : Salon de Louis XIII, parce que Marie de Médicis l’y mit au monde, on remarque, parmi les arabesques de la décoration, des S traversés d’un trait ; chiffre parlant du nom de Gabrielle d’Estrées (Esse trait). C’est du moins une petite médisance de cour recueillie de longue date par la tradition et qui se raconte journellement aux visiteurs, heureux de découvrir la malice de ce rébus extra-matrimonial. Mais quelques critiques, justement blessés d’une incongruité aussi étrange, ont cherché à en disculper le vert-galant. Ils objectent que Gabrielle était morte quand Henri IV épousa Marie de Médicis. Le roi, moyennant une rente aux héritiers, garda pour lui les biens meubles de sa maîtresse, et, par une ordonnance du 10 août 1600, il déclara qu’il avait fait changer les bijoux pour en faire présent à sa « très-aimée future épouse la princesse Marie. » — Ce transport des bijoux de la maîtresse à la femme légitime ne nous semble pas d’une exquise délicatesse. — D’un autre côté, si les S percés d’un trait avaient été placés avec intention par les décorateurs,
Église d’Avon. — Dessin de D. Grenet d’après nature.
comme étant le chiffre de la charmante Gabrielle, peut-être négligea-t-on simplement de les faire disparaître, quand, après sa mort, cette salle devint la chambre à coucher de Marie de Médicis. Mais voilà que, d’un autre côté, le problème se complique dans un sens favorable aux interprétations décentes : l’S traversé d’un trait est, dit-on, fréquemment employé à la Renaissance comme emblème de fermesse, constance. On le retrouve sur des jetons de la chambre des comptes de Pau à l’effigie de Jeanne d’Albret, régente pour son fils Henri, du royaume de Navarre. — N’est-ce pas une chose singulière, en vérité, que ce concours de chiffres et d’emblèmes amphibologiques, côtoyant l’honnêteté et le scandale, applicables tout à la fois à la maîtresse et à la femme légitime, au temps de Henri II, et à celui de Henri IV[1] !

La plus longue galerie du palais est la galerie de Diane, que Henri IV fit construire. Ici encore la propension à dire du mal de « ces malheureux rois, » trop justifiée, il faut le reconnaître, par leur moralité peu scrupuleuse, s’est évertuée à trouver malice à des peintures mythologiques d’Ambroise Dubois, qui en étaient fort innocentes. Un grand nombre de ces peintures étaient consacrées à Diane ; suivant une tradition, erronée cette fois, la sœur d’Apollon, qu’on a coutume d’appeler, même à l’opéra, la chaste Déesse (Casta diva), malgré l’histoire d’Endymion, n’aurait été ici qu’une image transparente de Gabrielle d’Estrées, comme elle l’était de Diane de Poitiers dans une autre partie du château. Mais la chronologie ne se prête pas à ces suppositions malicieuses : Gabrielle était morte avant que l’olympe d’Ambroise Dubois fût commencé. — Peintures et bâtiment, tout cela était tellement tombé en ruine qu’il fallut reconstruire sous l’Empire cette galerie ; la Restauration la fit décorer avec la richesse et le goût banal qui caractérisent le style officiel de l’époque. La bibliothèque du palais y a été établie en 1859. On y voit la cotte de mailles et l’épée de Monaldeschi, qui, protégé par l’une, ne songea pas à se servir de l’autre pour disputer sa vie à des spadassins.

  1. Le dernier historien du palais de Fontainebleau, M. Champollion Figeac, cite un fait positif, qui nous semble infirmer tout à fait les complaisantes tentations d’apologie : « Au temps même de Henri IV, l’habile graveur Thomas de Leü, grava le portrait de toutes les personnes de la cour de ce roi, en ajoutant à la figure les chiffres où devises qui leur étaient personnels ; et au portrait de Gabrielle, dans ce recueil, est joint ce même chiffre 8 traversé du trait. »