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longueur qu’il avait à parcourir, de sorte qu’au moment où il arriva près de notre abri, les deux kanaks l’éteignirent sans peine, au moyen des longs balais dont j’ai parlé. Le tout s’était passé en quelques minutes ; il était temps ; l’incendie arrivait à la limite que nous venions de lui assigner et nous fûmes un instant dans un nuage de fumée et de flammèches, dans une atmosphère brûlante ; après quoi les flammes firent le tour de notre camp et s’éloignèrent dans la direction de la montagne.

Pendant tout ce temps, nos deux Calédoniens, semblables à des démons de bronze, et brandissant leurs longs balais de brindilles, bondissaient autour du cercle qu’ils avaient tracé, frappant avec de grands cris, sur les points où l’herbe mal brûlée d’abord menaçait de s’enflammer de nouveau.


Indigènes des Îles Loyalty. — Dessin de A. de Neuville d’après une photographie.

« All right ! dit M. Ferdinand, vous voyez que ces gaillards n’ont pas été longs ; ce feu nous vaudra au moins de n’être point trop tourmentés par les moustiques. Nous avons une longue route à faire demain, je vous engage à vous envelopper dans votre couverture et à dormir : mettez une pierre entre le feu et vos pieds pour ne pas incendier votre couverture ; sur ce, good night and good dreams. »

Et mon brave compagnon, bien roulé dans sa couverture, le corps à l’abri sous la hutte, s’endormit bientôt ; pour moi, assis à ses côtés, je suivis longtemps des yeux la retraite de l’incendie ; nos deux kanaks venaient de s’endormir à leur tour, après avoir dévoré une immense quantité de taros. Je m’étendis enfin sur le sol, et en dépit de la dureté de cette couche inaccoutumée, de quelques moustiques, et d’une certaine émotion, due à la pensée que j’étais en pleine brousse, à côté de deux anthropophages, je sommeillai bientôt paisiblement.