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che et laisser encore, à sa partie supérieure, un arc sous lequel le pigeon peut passer facilement. Ce nœud est maintenu dans sa position par une liane fine et cassante ; mais il est formé lui-même par une liane que l’on a, au contraire, le soin de choisir très-forte et très-longue, de façon à ce qu’une de ses extrémités formant le nœud coulant, l’autre descende jusqu’au pied de l’arbre, où elle est à la portée de la main du chasseur.

À la tombée du jour, celui-ci vient se poster au pied de l’arbre et là, appuyant sa bouche dans l’angle formé par le sol et le tronc, il fait entendre, avec une justesse étonnante, le cri sourd et étouffé du notou ; ceux de ces oiseaux qui entendent l’appel arrivent immédiatement, et plusieurs, dans le nombre, à la vue de la branche la plus découverte, s’y posent naturellement ; mus par la curiosité, ils vont et viennent rapidement le long de ses rameaux. Cependant, avec ses yeux de lynx, le kanak épie le moment où le pigeon passe sous l’arc du nœud coulant d’une des lianes dont il tient l’autre extrémité à la main ; alors il tire celle-ci violemment à lui ; la petite liane, qui tient le piége suspendu se brise, le nœud se serre et étreint contre la branche le malheureux notou ; il ne reste plus qu’à monter pour s’emparer de la victime. Il est bien rare que le chasseur ne prenne pas ainsi, en quelques minutes, autant de pièces de gibier qu’il a disposé de nœuds coulants.


Pigeon notou et grue blanche de la Nouvelle-Calédonie. — Dessin de Mesnel d’après nature.

Lorsque l’Européen veut chasser le notou, il est à peu près indispensable qu’il emmène avec lui un guide kanak qui puisse tout à la fois lui enseigner le chemin et lui montrer le gibier ; sans cela, à moins d’une longue habitude, on doit renoncer presque toujours à découvrir soi-même dans l’épaisseur du fourré le pigeon que l’on cherche, et que sa couleur de bronze florentin permet difficilement de distinguer au milieu des mille teintes des ramilles et du feuillage. Anticipant un peu sur les événements, je puis citer comme exemple, une occasion assez plaisante où j’avais pour compagnon un officier de mes amis, M. D., qui était venu passer quelques jours avec moi dans la brousse et qui chassait pour la première fois le notou. Nous étions partis dès le matin : bientôt le kanak signale un pigeon : M. D. s’approche, avec mille précautions pour ne point faire de bruit, de l’insulaire qui, de la main, lui montrait l’énorme oiseau sur une haute branche ; mais mon ami avait beau écarquiller ses yeux, il ne pouvait apercevoir l’animal ; deux minutes, deux siècles, se passèrent ainsi ; le bruit d’une branche sèche brisée sous leurs pieds fit à la fin partir le notou ; mon malheureux compagnon était désespéré ; quelques minutes plus tard, l’œil perçant de notre guide découvrait un nouveau notou et M. D. ne pouvait encore rien apercevoir. Cette fois j’étais près de lui et en réalité il fallait une longue habitude pour distinguer un pigeon aux quelques plumes rougeâtres de son estomac que seules l’on voyait au milieu du feuillage à quarante-cinq mètres