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c’est une rade continue où de petites embarcations peuvent naviguer en sûreté le long de la côte, avec un équipage très-faible.

Les lignes de ces récifs offrent au navire qui vient du large un spectacle saisissant, dans lequel la puissance de la mer se montre avec toute sa majesté et sa splendeur. Que l’on se figure, en effet, des milliers de lames rapides, silencieuses, gigantesques qui s’élancent sans cesse, béliers puissants, contre cette barrière, œuvre d’animalcules infiniment petits : le choc est terrible, la vague se brise en écume avec un bruit tantôt sourd, tantôt retentissant, qui se fait entendre à une grande distance, éveillant la nuit l’attention du pilote. — Sur le pont d’un navire, on n’entend jamais ce bruit constant et sourd sans être pénétré d’une certaine terreur, même pendant le jour, et le marin le plus expérimenté est celui dont le front est parfois le plus soucieux.

Si cette digue madréporique était continue, il serait naturellement impossible d’attérir, mais, de distance en distance, elle est coupée de canaux plus ou moins droits, plus ou moins larges, qui prennent le nom de passes ; ces ouvertures correspondent ordinairement à l’embouchure d’une rivière un peu importante de la terre, dont le courant et les eaux plus douces se prolongeant à une certaine distance dans la mer, sont les deux causes qui paraissent avoir suffi pour rompre la continuité de cette barrière, en s’opposant au développement, à la vie, aux travaux des infatigables et innombrables zoophytes qui forment ces murailles.

C’est toujours un moment solennel que celui où un navire, venant de la haute mer, pénètre dans la passe ; et je n’ai jamais vu, lorsque, poussé par la brise, on glisse entre les deux parois écumantes de cette ouverture, le marin plaisanter ou sourire. Un silence absolu règne à bord, troublé seulement par le clapotement de la lame qui frappe les flancs du navire, par le fasaiement d’une voile, ou le grincement du gouvernail ; c’est que, à ce moment, une saute de vent, un calme subit, un courant imprévu, une bourrasque seraient peut-être l’arrêt de mort de tous ; mais, peu à peu, les mouvements du bâtiment deviennent