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rues étroites, des matrones d’un embonpoint notable et d’allure égrillarde, me souriaient et me disaient : Minho branco, — mon blanc. — Il va sans dire, que je ne répondais ni à ces provocations, ni à ces œillades. Muet comme un pythagoricien ou comme un poisson, j’observais, je crayonnais et passais outre.

L’aspect de cette population urbaine était plus varié que la carte d’échantillons d’un tailleur en renom. Toutes les nuances de peau, toutes les couleurs de costumes s’y montraient et s’y mariaient, mais sans se confondre. Chaque point coloré avait une valeur distincte. Atténué par la pénombre ou l’ombre, le papillotage de ces tons crus et disparates eût été supportable à l’œil ; mais en plein soleil il avait quelque chose d’éblouissant et de vertigineux qui troublait le regard et finissait par porter à la tête comme un vin capiteux. Après vingt minutes de marche, j’étais déjà tout étourdi par le va-et-vient de cette foule bariolée.

La température était celle d’un four à plâtre ; je haletais dans cet air embrasé. Sans ma qualité de Français et les devoirs qu’elle impose à l’étranger, j’eusse ôté ma cravate, ma redingote et mon chapeau, et laissé pendre un demi-pied de langue. Autour de moi, ni café ou restaurant, si borgne qu’il fût, auquel je pusse demander une hospitalité vénale ; rien que de sordides lojas, ces buvettes-épiceries d’où sortaient par chaudes bouffées une odeur de morue, de cuir, de rhum, de suif et de fromage, à faire fuir un paysan du Cantal.


Vue de la ville de Santa Maria de Belem do Para.

Au détour d’une rue, l’église de Nossa Senhora das Mercès, sur laquelle je comptais peu, m’apparut comme à l’Arabe du désert l’ouadi secourable. J’y entrai pour prier et jouir d’un peu d’ombre. Avec les chevrons, les billettes, les méandres et les entrelacs de son architecture d’un rococo lusitanien, — ne pas confondre avec le rococo français, — l’église hospitalière m’offrit un banc de bois sur lequel je m’assis, et une fraîcheur délicieuse que j’aspirai par tous les pores. En pays chaud, l’intérieur des églises, frais, ombreux, recueilli, disposerait admirablement le chrétien à l’extase, s’il ne lui donnait une irrésistible envie de dormir. De là cette somnolence observée chez la plupart des chanoines américains pendant la durée des offices. Au bout de quelques minutes, je me sentais envahi par le fluide et pouvais constater ses effets stupéfiants ; ma vue se troublait, mes idées s’embrouillaient, tous mes muscles s’assouplissaient comme des cordes qu’on dénoue ; pour secouer cette torpeur et rappeler mes sens en train de s’égarer, je me mordis les doigts et me pinçai les cuisses. Grâce à l’emploi de ces moyens héroïques, si je n’éloignai pas tout à fait le sommeil, du moins j’affaiblis son action et pus continuer à veiller d’un œil pendant que je dormais de l’autre.

L’esprit et le corps rafraîchis, je pris congé de