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VOYAGE DE L’OCÉAN PACIFIQUE À L’OCÉAN ATLANTIQUE,
À TRAVERS L’AMÉRIQUE DU SUD,


PAR M. PAUL MARCOY[1].


1848-1660. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


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BRÉSIL.




DOUZIÈME ET DERNIÈRE ÉTAPE.
DE TABATINGA À SANTA MARIA DE BELEM DO PARA (suite).


L’auteur se met à la recherche d’un ami qu’il avait perdu de vue depuis le commencement de ce livre. — Coup de foudre inattendu. — Dans tout ce que tu fais, hâte-toi lentement. — Vale.

Quand je crus être à peu près présentable, je priai le pilote de faire descendre mes bagages dans le canot, et avec eux deux hommes de l’équipage pour me conduire à terre. Le pilote donna les ordres nécessaires. Pendant qu’on les exécutait, il s’approcha de moi d’un air souriant et discret.

« Comme c’est la première fois que monsieur vient au Para, me dit-il, peut-être est-il embarrassé pour trouver un logement ? s’il en était ainsi, je prendrais la liberté de l’adresser à uma minha comay, — une commère à moi, — qui reste rue d’Alfama et loue des chambres, à la semaine ou au mois, aux capitaines de navires. Monsieur serait parfaitement logé chez la Gaïvota, — lisez : la Mouette. — C’est une personne très-propre, ni vieille, ni jeune, et qui ne prend pas cher.

— Merci, pilote, répondis-je à l’officieux placeur ; votre proposition m’agréerait assez si je restais en ville ; mais, pour le moment, je ne fais que la traverser. Je vais à Nazareth.

— Monsieur connaît donc Nazareth ?

— Pas le moins du monde !

— Alors, comment monsieur sait-il que pour aller à Nazareth, on traverse la ville ?

— Quelqu’un me l’aura dit.

— Ce quelqu’un a dit vrai. Nazareth est à une demi-lieue d’ici, à l’autre bout de la cité ; mais comme la cité est grande, qu’elle a beaucoup de rues et que monsieur ignore celles qu’il faut prendre, je vais dire au patron du canot de l’accompagner.

— C’est inutile ; je préfère aller seul.

— Pourtant si monsieur ne connaît pas le chemin ?

— Raison de plus pour arriver quand même.

— Monsieur s’égarera ; c’est sûr !

— Où ça ? dans vos rues ? quelle plaisanterie ! sachez, pilote, qu’à l’heure où je vous parle, il y a juste un an et quatorze jours, à la suite d’un déjeuner copieux, très-copieux même, je pariai de traverser, non pas la ville du Para, mais l’Amérique tout entière, et cela, le cigare aux lèvres et les mains dans les poches, — en flâneur, comme on dit chez nous. — Je partis, j’allai, j’arrivai. Maintenant que le tour est fait et l’Amérique traversée, vous comprenez, mon digne Palinure, que, si j’ai pu arriver jusqu’ici sans faire fausse route ou demander mon chemin aux passants, je saurai bien atteindre Nazareth à travers votre ville percée de trente rues et peuplée de quelques milliers d’habitants. »

L’homme ne souffla mot. Comme il me regardait d’un air ahuri, je profitai du trouble de ses facultés pour lui souhaiter à la hâte une santé parfaite, un ciel exempt d’orages et un prompt retour dans la ville de ses pénates, la Barra do Rio Negro. Cinq minutes après, les Tapuyas me déposaient sur le sol paraënse.

Après avoir hâlé leur canot sur la plage, ils en retirèrent mes bagages et les portèrent dans une loja, humble boutique d’épiceries, de mercerie et de liqueurs, dont le propriétaire était de leurs amis. Cet épicier local, gros homme croisé d’Indien et de nègre, à ce qu’il me parut, consentit de fort bonne grâce à garder mes paquets chez lui jusqu’à mon retour.

Pendant qu’il dégustait avec les Tapuyas un verre de tafia, et les félicitait sur leur heureuse traversée, je quittai la boutique et j’enfilai la première rue qui s’offrit à moi ; de cette rue je passai dans une seconde, qu’une troisième coupait à angle droit. Tout en cheminant au hasard, je relevais les industries locales ; j’inspectais l’extérieur des maisons et la physionomie des habitants ; je croquais des faces hétéroclites et des choses hétérogènes. Çà et là, des figures se déridaient ou se fronçaient à mon approche : les unes m’adressaient un regard bienveillant, les autres m’examinaient avec défiance ; des négresses au profil bestial, à la tignasse en parasol, me coudoyaient d’un air provocateur ; des cafuzes et des mulâtresses, avec une fleur à la tempe, me faisaient de petites moues. Dans quelques

  1. fin. — Voy. t. VI, p. 81, 97, 241, 257, 273 ; t. VII, p. 225, 241, 257, 273, 289 ; t. VIII, p. 97, 113, 129 ; t. IX, p. 129, 145, 161, 177, 193, 209 : t. X, p. 129, 145, 161, 177 ; t. XI, p. 161, 177, 193, 209, 225 ; t. XII, p. 161, 177, 193, 209 ; t. XIV, p. 81, 97, 113, 129, 145 ; t. xv, p. 97, 113, 129, 145 ; t. XVI, p. 97, 113 et 129.