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s’ennuyant à ne rien faire, elle souhaita tout haut une distraction. Le diable, caché sous un tas de pierres, entendit ce souhait et résolut de l’exaucer ; il prit la figure d’un carapana (moustique) aux mille suçoirs et assaillit si furieusement l’Indienne, que la malheureuse, ne sachant à quel saint se vouer, ni de quelle main se gratter, courut se précipiter dans la mer qui baignait la contrée. Quand l’infernal carapana, qui ne l’avait pas quittée, vint à toucher l’eau, celle-ci mugit et bouillonna comme si on y eût plongé un fer rouge.

Quelque temps après, les eaux s’étant retirées, la terre apparut de nouveau ; mais pour perpétuer le souvenir du châtiment de la vieille femme, Dieu voulut que les carapanas, qui jusqu’alors avaient habité d’autres régions, émigrassent en foule et vinssent déposer leurs larves au pied de la Sierra. Cette décision de l’autorité divine valut au site le nom de carapanateüa[1], et à la Cordillère celui de Vieja povoa qu’ils portent encore de nos jours.

Si cette légende de la pauvre vieille d’Almeïrim semble à quelque lecteur manquer de saveur, de couleur, être un peu plate enfin, ce n’est pas notre faute, mais celle du terroir qui ne donne ni blé, ni vin, ces deux produits emblématiques des pays de légendes.

Le lit du fleuve, assez rétréci entre Monte Alegre et Almeïrim, s’élargit tout à coup d’une manière formidable. La rivière Xingu, — prononcez Chingou, — vient de l’aborder par la droite et l’oblige à décrire une courbe immense, dont le tracé, dans la partie du nord-est, est à peine apparent.


Végétation des rives du Bas Amazone. — Les miritis.

Issu des versants septentrionaux de la chaîne des Parexis, le Rio Xingu, placé entre le Tapajoz que nous connaissons et Le Tocantins que nous n’avons pas vu encore, leur égal à tous deux, par la largeur de son lit, l’étendue de son cours et l’illustration historique de son passé, le Xingu est loin d’avoir eu la célébrité du premier, son voisin de gauche, et d’avoir fait autant de bruit que le second, son voisin de droite. À quoi cela peut-il tenir ? Nous ne le savons pas ; mais les bonnes gens qui croient à l’intervention du destin dans leurs affaires de ménage, vous diront, si vous les consultez à cet égard, que le pauvre Xingu n’a pas eu de chance.

Cette rivière, que les voyageurs officiels dédaignent, que tout le monde oublie, et qu’à cause de cela même nous nous plaisons à rappeler, fut spectatrice, à l’époque de la conquête, des luttes que le Portugal eut à soutenir contre la Hollande, la France et l’Angleterre, au sujet de la possession totale ou partielle des Guyanes et de la clef de l’Amazone que chacune de ces puissances eût voulu être seule à garder. Pendant qu’elles bloquaient à tour de rôle l’embouchure du fleuve, l’Espagne l’assiégeait par ses sources.

En 1616, les Hollandais, retranchés sur la rive droite de l’Amazone, entre Gurupa et Matura, avaient construit dans l’intérieur du Xingu, à un endroit appelé Mandiateüa, où s’élève aujourd’hui la ville de Veiras, une forteresse en pisé, qu’ils occupèrent jusqu’en 1625, où Pedro Teixeira, aidé de cinquante soldats portugais et de sept cent Indiens Tupinambas, parvint à les déloger de ce poste. Les Hollandais allèrent s’établir à Cameta sur la rivière Tocantins ; là, s’étant alliés aux Indiens Tucujus qui habitaient les îles de l’Amazone, entre Cameta et Gurupa, ils tentèrent de faire face aux Portugais ; mais leur résistance fut vaine. Les Capucins du Para, et le révérend Christophe à leur tête, avaient prêché la croisade aux Tupinambas leurs néophytes, et les avaient lâchés comme des dogues, après les Tucujus idolâtres, leur enjoignant d’exterminer ces fils de Baal qui prêtaient l’appui de leur bras à la cause des Hol-

  1. Carapana-Teüa — littéralement : où il y a des moustiques.