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passants et d’en être vu. Bien des pilotes, après vingt ans de cabotage sur l’Amazone, ne connaissent d’Alemquer que le changement de son nom en Alenque. Pourquoi serions-nous plus favorisés qu’eux ?

À quelques lieues de Santarem, deux chaînes, deux Sierras, doucement azurées par la distance, montrent leurs faîtes dentelés au-dessus des forêts des deux rives. Nous montons dans les barres de hune et, commodément assis, nous explorons de l’œil ces chaînes inconnues.

La première, celle de gauche, longe les Guyanes de l’ouest-nord-ouest à l’est-sud-est. Ses soumets seuls sont apparents. Ses versants disparaissent jusqu’à La base sous d’épaisses forêts. Entre cette chaîne et le fleuve, s’étendent de vastes nappes d’eau sans profondeur, que l’été met à sec. Ces lacs temporaires se couvrent alors de Capim et d’herbes menues. Les bœufs et les moutons d’Obidos, de Santarem et d’Alemquer y sont conduits par leurs propriétaires pour se refaire et prendre un peu de corps. Au retour de l’hivernage, ou lorsque l’embonpoint de ces ruminants est jugé suffisant, — nous n’en avons vu que de maigres, — ils sont envoyés au Para et vendus aux bouchers qui les détaillent en filets et en côtelettes. Cette Sierra de gauche, au dire de nos gens, porte le nom de Paruacuara.

La chaîne de droite est une des nombreuses ramifications des Parexis ; elle est appelée Sierra do Curua. Ses flancs sont nus de la base au sommet.

Depuis Obidos, où l’action des marées est déjà appréciable, notre navigation a pris un caractère assez amusant. Au lieu de nous fatiguer à louvoyer d’une rive à l’autre pour nous élever dans le vent, nous jetons l’ancre près du bord, quand vient l’heure de la marée, et la laissons monter sans en faire cas. Pendant que le courant bruit et clapote contre le taille-mer du sloop, l’équipage descend à terre. Là, chaque individu s’occupe
Ville d’Obidos, rive gauche du Bas Amazone.
ou se divertit à sa guise. L’un prend une sarbacane et va chasser dans la forêt ; l’autre pêche à la ligne ; celui-ci raccommode une déchirure de sa chemise ou met une pièce à son pantalon ; cet autre fait un somme, la tête à l’ombre et les pieds au soleil. Ces heures blanches passent rapidement, et c’est avec regret que je vois venir le moment où le fleuve est étale. Au signal du pilote, nos hommes regagnent le bord, l’ancre est levée, le bateau déploie sa grand’voile et nous recommençons à fuir avec vent et marée.

Une île rapprochée de la rive gauche nous empêche en passant, de voir Monte Alegre, un de ces villages-missions fondés au dix-septième siècle par les Carmes portugais, transformés en villes par le décret de 1755-58, et qui déclinèrent rapidement quand décrut l’importance de la Barra do Rio Negro. Au temps de sa prospérité, la ville de Monte Alegre était entourée de plantations de cacao ; elle avait dans ses murs une école publique ; sur sa rivière Gurupateüa une scierie qui détaillait en planches d’épaisseurs diverses les grande et beaux arbres de ses forêts ; enfin, au pied de sa colline, une fabrique de grude ou colle de poisson, due à la prévoyance commerciale d’un des gouverneurs du Para. — Ô temps évanouis ! ô splendeurs effacées !

Dix lieues séparent Monte Alegre du village d’Outeiro, aujourd’hui Praynha. À part son changement de nom et sa transformation imaginaire de village en ville, Praynha est encore, à peu de chose près, le village-mission où, en 1785, l’évêque Gaëtano Bradão, alors en tournée, exhortait, confessait, absolvait une population d’Indiens Maüès déjà croisés avec la race portugaise.

Praynha, par cela même qu’il est toujours l’Outeiro d’autrefois, vaut la peine qu’on le décrive. Une colline à pentes douces et coupée à pic du côte du fleuve, sert d’assiette à ses trente maisons. Vingt-cinq d’entre elles