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rassé d’obstacles, se rétrécit au point que nous distinguons nettement les arbres d’essences diverses de ses deux rives. Nous cheminons ainsi pendant une heure ; puis une île immense envahit la gauche du fleuve, laissant à sa droite une manière de furo ou d’étroit canal, dans lequel notre sloop donne tête baissée. Ce canal, peu sinueux, est assez large sur quelques points, mais si étroit sur d’autres, que le sloop accroche avec le gui de sa grand’voile les verdures du bord dont il emporte des lambeaux. L’île est bientôt doublée, et la rive droite s’échancrant tout à coup, laisse voir l’intérieur du grand canal qui relie l’Amazone au Madeira. Ce canal est celui des Tupinambas ou Abacaxis dont nous avons parlé plus haut.

À deux jets de flèche de son embouchure sur la rive droite du fleuve, apparaissent, au bord d’une maigre pelouse, tapis habituel des villes et des villages de l’Amazone, onze maisonnettes à toiture de chaume, encadrées à distance par la lisière des forêts. C’est tout ce qui reste de Villa Nova da Raiñha — la ville neuve de la Reine.

Cette ville neuve fut d’abord un simple village fondé au commencement de ce siècle par un capitaine de voltigeurs, Pedro Cordovil, qui le peupla d’Indiens Mundurucus, tirés par lui de l’intérieur du Tapajoz. Peu de temps après sa fondation, un décret du gouverneur et capitaine général de la province du Para, Marcos de Noroñha è Brito, l’éleva au rang de Mission et lui donna le nom charmant de Ville-Neuve de la Reine. Son régulateur spirituel fut ce même Carme José das Chagas, que nous avons vu dans le canal du Madeira régner sur les deux Missions des Abacaxis et des Maüès.


Première plantation de cacao à Villa Nova.

Un seul souvenir historique, mais lamentable, se rattache à Villa Nova. En 1804, un colonel José Simoens de Carvalho, gouverneur du Rio Negro, y mourut d’une indigestion d’œufs de tortues. En vain nous cherchâmes des yeux le tombeau de ce fonctionnaire ; nous n’aperçûmes que des poules fouillant à reculons le sol de la pelouse. Comme les habitants de Serpa et de San José de Maturi, ceux de Villa Nova devaient dormir d’un sommeil enchanté, car, à quatre heures après midi, leurs fenêtres et leurs portes étaient encore fermées,

Au sortir de Villa Nova qu’on appelle aujourd’hui Villa Bella, apparaissent, de dix en quinze lieues, sur les deux rives de l’Amazone, des plantations de cacao dont le vert sombre et doux à l’œil, tranche agréablement sur les verdures d’alentour. Chaque cacahual est pourvu d’une maisonnette blanche, ici couverte en chaume, là coiffée de tuiles, selon la richesse et le goût de son propriétaire. Ces plantations, qu’on voit naître à Villa Nova, se poursuivent des deux côtés du fleuve, jusqu’à Monte Alegre. À partir de ce point, elles ne se montrent plus que sur sa rive droite, et s’étendent jusqu’à Cameta sur la rivière Tocantins.

Déjà nous avions ouvert notre album, taillé nos crayons, et nous nous apprêtions à croquer Faro, un village qui date de 1755 et s’élève à l’embouchure de la rivière Nhamondas, lorsque quatre îles, si bien enchevêtrées les unes dans les autres qu’elles semblent n’en faire qu’une, viennent nous barrer le passage et dire à notre sloop : « Tu n’iras pas plus loin. » Le bateau a compris l’avertissement, et, au lieu de continuer à pincer le vent, il laisse arriver en plein sur la rive droite. Nous ne verrons Faro qu’en songe, quand nous avions compté le voir en réalité ; mais, pour nous dédommager de ce contre-temps, nous parlerons de sa rivière Nhamundas, aux habitantes de laquelle le grand fleuve que nous descendons aujourd’hui dut le nom d’Amazone.

Toutefois, avant de passer outre, disons que Faro et