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affluents du fleuve pour remonter vers les sources de ces derniers où force fut aux gouvernants de les laisser en paix.

Remarquons, en passant, que le même système de civilisation appliqué par les Espagnols aux populations du Pérou, amenait, dans un temps donné l’extinction presque totale de ces dernières. Pendant qu’ici, s’éteignaient, faute de bras, les missions et les bourgades fondées sur le Solimoës, le Javary, l’Iça, le Japura, le Rio Negro et leurs affluents, là-bas, en deça et au delà des Andes, les missions de Quito, de Maynas, du Cerro de la Sal, du Mayro, du Pozuzo, d’Apolobamba, de Moquehua s’effaçaient du sol avec les villes et les villages s’y rattachant. De la situation florissante du Haut Amazone au dix-huitième siècle, il n’est resté qu’une simple notice dans les statistiques de ce temps. Les missions, les villes, les bourgades édifiées sur ses rives et dont l’aspect réjouissait le cœur des vrais chrétiens, comme disait un évêque Bradaô[illisible] au retour d’une excursion épiscopale sur le fleuve, ces bourgades, ces villes, ces missions ont disparu et sont remplacées par les huit localités que nous avons décrites tour à tour. L’intérieur du Rio Negro, si bruyant et si animé, qu’il valut à cette rivière l’insigne honneur d’être appelée A corte do Solimoës — la cour ou capitale du Solimoës, — le Rio Negro est morne et silencieux comme une tombe. Quant à la population indigène, on peut juger de l’étrange déchet qu’elle a subi dans la période de 1640 à 1780, en comparant la liste des nations qui peuplaient à cette époque le Haut Amazone et ses tributaires, à la liste des nations qu’on y trouve aujourd’hui [1].

1640 — 1680.

Haut Amazone ou Solimoës. — Indiens Yurimaos, Umaüas, Curucicuris, Sorimaos.

R. Javari (affluent de droite). — Mayorunas, Ticunas, Marahuas, Huaraycus, Panos, Chahuitos, Chimanaas, Yameas.

R. Jandiatura (affluent de droite). — Huaraycus, Marahuas, Mayorunas, Culinos.

R. Iça ou Putumyo (affluent de gauche). — Yuris, Passés, Iças, Payabas, Chumanas, Tumbiras, Cacatapuyas, Parianas, Cahuhuicenas, Barrés, Mariatés, Coërunas, Macus, Yupinas, Manayas, Araruas, Pehuas, Yahuas.

R. Tunati (hodié Tunantins, affluent de gauche). — Tunatis, Cahuhuicenas, Parianas.

R. Jutahy (affluent de droite). — Culinos, Tapaxanas, Huaraycus, Buruhès.

R. Jurua (affluent de droite). — Catahuichis, Cahuanas, Marahuas, Canamahuas, Yumas, Camaramas, Payabas, Papianas, Ticunas, Nahuas, Culinos.

R. Teffé (affluent de droite). — Uaüpés, Yanumas, Papés, Tupibas.

R. Japura ou Grand-Caqueta (affluent de gauche). — Mepuris, Chumanas, Mariahuanas, Macus, Coërunas, Yuris, Yupuras, Cahuiharis, Yamas, Cahuhuicenas, Tamuanas, Marahuas, Peridas, Periatis, Parahuamas, Purenumas, Jepuas, Poyaüas, Clituas, Coretus, Tumbiras, Ambüas Maüayas, Parianas, Araruas, Yupiüas, Umaüas, Mirañhas, Achuaris, Anianas.

R. Coary (affluent de droite). — Uaüpès, Muras, Cirus, Yahuanas.

R. des Purus (affluent de droite). — Purus-Purus, Muras, Abacaxis, Mauës, Sapupés, Comanis, Aytonarias, Acaraiüaras, Braüaras, Curitias, Catahuichis, Uarupas, Maturucus, Catukinos, Schuacus.

Rio Negro (affluent de gauche). — Manaos, Uaracoacenas, Parabianas, Caburicenas, Bayanas, Uariquênas, Cayarahis, Guaribas, Cabuquênas, Uayuanas, Orumaos, Anas, Banivas, Tarianas, Uaüpès, Urinanas, Timanaras, Boanaris, Mamengas, Panenuas, Coërunas, Caraÿas.


1860.

Haut Amazone ou Solimoës. — Des quatre nations qui peuplaient ce fleuve, deux, celles des Curucicurus et des Sorimaos étaient éteintes avant la fin du dix-septième siècle. Les Umaüas transformés en Omaguas et croisés avec la race Cocama, sont chrétiens depuis longtemps et les individus de leur descendance habitent au Pérou, sur la rive gauche de l’Amazone, le village de San Joachim d’Omaguas. Les descendants des Yurimaos, chrétiens depuis un siècle et croisés avec la race des Balzanos et des Cumbazas, néophytes des anciennes Missions du Huallaga,

  1. Le dernier voyageur français qui ait visité officiellement ces contrées, celui-là même à qui le Musée du Louvre est redevable d’une statue en grès provenant de la Barra do Rio Negro et dont il nous est arrivé de parler plus haut, ce voyageur a donné en 1850-51, comme nous donnons aujourd’hui, une liste nominative des nations indigènes qui peuplent le Haut-Amazone et ses affluents. Cette liste, ainsi qu’il nous l’apprend lui-même, a été copiée par lui dans un journal de Santa Maria de Belem do Para, o Télégrafo paraënse, en date du 28 mars 1829. Nous sommes fâché d’avoir à ajouter que l’original, pas plus que la copie, ne doivent être pris en considération et cela pour les raisons suivantes :

    Aucun relevé des nations sauvages qui peuplent le Brésil n’ayant été fait depuis plus d’un siècle, le journaliste brésilien attaché au Télégraphe, — c’est le nom du journal, — n’a vu rien de mieux pour donner une haute idée des populations indigènes de son pays que de copier dans leur teneur primitive les rôles de la capitainerie du Rio Negro et les roteiros ou itinéraires de la contrée publiés par Noroñha et par Sampaio dans la période de 1750 à 1774. En outre, le même journaliste dans sa besogne de copiste, a commis une erreur de plume, à moins que le voyageur français en le copiant à son tour, n’ait étourdiment confondu le Jurua avec le Japura et doté la première de ces rivières de trente-trois nations, tandis qu’il n’en donne que dix-sept à la seconde. Or, c’est précisément le contraire qu’il eût fallu écrire.

    Un fait que le journaliste brésilien et le voyageur français ignorent peut-être, c’est que les affluents de gauche du Haut Amazone paraissent avoir eu de tous temps une population indigène bien plus nombreuse et surtout plus variée que les affluents de droite du même fleuve. De cette différence numérique, doit-on inférer que dans leurs migrations du nord au sud à travers les parties planes de cette Amérique, la majeure partie des nations de l’autre hémisphère s’arrêtèrent en deçà de l’Amazone, tandis qu’un petit nombre seulement traversaient le fleuve et poussaient au delà, ou que ces migrations de peuples continuant de s’opérer longtemps encore après l’occupation des parties sud du continent par les premières hordes voyageuses, celles qui vinrent à leur suite, fixèrent pour limites à leurs déplacements les rivages de l’Amazone ? Le fait nous paraît mériter l’attention des savants.

    N’ayant pas sous la main le numéro du journal le Télégraphe où se trouve cette liste nominative, nous ne pouvons la confronter. avec la copie qu’en a faite le voyageur et décider, qui, de lui ou du journaliste, a commis le lapsus calami relatif au Jurua et au Japura. Bornons-nous donc à dire que la liste en question qui reproduit le chiffre des nations brésiliennes d’autrefois et non celui des nations d’aujourd’hui, est entachée de nullité et comme telle doit être repoussée par les ethnographes.